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– Ah! oui, dit Danglars; n’ai-je pas entendu parler de quelque chose comme une aventure singulière avec des bandits, des voleurs dans les ruines? Il a été tiré de là miraculeusement. Je crois qu’il a raconté quelque chose de tout cela à ma femme et à ma fille à son retour d’Italie.

– Mme la baronne attend ces messieurs, revint dire le laquais.

– Je passe devant pour vous montrer le chemin, fit Danglars en saluant.

– Et moi, je vous suis», dit Monte-Cristo.

XLVII. L’attelage gris pommelé.

Le baron, suivi du comte, traversa une longue file d’appartements remarquables par leur lourde somptuosité et leur fastueux mauvais goût, et arriva jusqu’au boudoir de Mme Danglars, petite pièce octogone tendue de satin rose recouvert de mousseline des Indes; les fauteuils étaient en vieux bois doré et en vieilles étoffes; les dessus des portes représentaient des bergeries dans le genre de Boucher; enfin deux jolis pastels en médaillon, en harmonie avec le reste de l’ameublement, faisaient de cette petite chambre la seule de l’hôtel qui eût quelque caractère; il est vrai qu’elle avait échappé au plan général arrêté entre M. Danglars et son architecte, une des plus hautes et des plus éminentes célébrités de l’Empire, et que c’était la baronne et Lucien Debray seulement qui s’en étaient réservé la décoration. Aussi M. Danglars, grand admirateur de l’antique à la manière dont le comprenait le Directoire, méprisait-il fort ce coquet petit réduit, où, au reste, il n’était admis en général qu’à la condition qu’il ferait excuser sa présence en amenant quelqu’un; ce n’était donc pas en réalité Danglars qui présentait, c’était au contraire lui qui était présenté et qui était bien ou mal reçu selon que le visage du visiteur était agréable ou désagréable à la baronne.

Mme Danglars, dont la beauté pouvait encore être citée, malgré ses trente-six ans, était à son piano, petit chef-d’œuvre de marqueterie, tandis que Lucien Debray, assis devant une table à ouvrage, feuilletait un album.

Lucien avait déjà, avant son arrivée, eu le temps de raconter à la baronne bien des choses relatives au comte. On sait combien, pendant le déjeuner chez Albert, Monte-Cristo avait fait impression sur ses convives; cette impression, si peu impressionnable qu’il fût, n’était pas encore effacée chez Debray, et les renseignements qu’il avait donnés à la baronne sur le comte s’en étaient ressentis. La curiosité de Mme Danglars, excitée par les anciens détails venus de Morcerf et les nouveaux détails venus de Lucien, était donc portée à son comble. Aussi cet arrangement de piano et d’album n’était-il qu’une de ces petites ruses du monde à l’aide desquelles on voile les plus fortes précautions. La baronne reçut en conséquence M. Danglars avec un sourire, ce qui de sa part n’était pas chose habituelle. Quant au comte, il eut, en échange de son salut, une cérémonieuse, mais en même temps gracieuse révérence.

Lucien, de son côté, échangea avec le comte un salut de demi-connaissance, et avec Danglars un geste d’intimité.

«Madame la baronne, dit Danglars, permettez que je vous présente M. le comte de Monte-Cristo, qui m’est adressé par mes correspondants de Rome avec les recommandations les plus instantes: je n’ai qu’un mot à en dire et qui va en un instant le rendre la coqueluche de toutes nos belles dames; il vient à Paris avec l’intention d’y rester un an et de dépenser six millions pendant cette année; cela promet une série de bals, de dîners, de médianoches, dans lesquels j’espère que M. le comte ne nous oubliera pas plus que nous ne l’oublierons nous-mêmes dans nos petites fêtes.»

Quoique la présentation fût assez grossièrement louangeuse, c’est, en général, une chose si rare qu’un homme venant à Paris pour dépenser en une année la fortune d’un prince, que Mme Danglars jeta sur le comte un coup d’œil qui n’était pas dépourvu d’un certain intérêt.

«Et vous êtes arrivé, monsieur?… demanda la baronne.

– Depuis hier matin, madame.

– Et vous venez, selon votre habitude, à ce qu’on m’a dit, du bout du monde?

– De Cadix cette fois, madame, purement et simplement.

– Oh! vous arrivez dans une affreuse saison. Paris est détestable l’été; il n’y a plus ni bals, ni réunions, ni fêtes. L’Opéra italien est à Londres, l’Opéra français est partout, excepté à Paris; et quant au Théâtre-Français, vous savez qu’il n’est plus nulle part. Il nous reste donc pour toute distraction quelques malheureuses courses au Champ-de-Mars et à Satory. Ferez-vous courir, monsieur le comte?

– Moi, madame, dit Monte-Cristo, je ferai tout ce qu’on fait à Paris, si j’ai le bonheur de trouver quelqu’un qui me renseigne convenablement sur les habitudes françaises.

– Vous êtes amateur de chevaux, monsieur le comte?

– J’ai passé une partie de ma vie en Orient, madame, et les Orientaux, vous le savez, n’estiment que deux choses au monde: la noblesse des chevaux et la beauté des femmes.

– Ah! monsieur le comte, dit la baronne, vous auriez dû avoir la galanterie de mettre les femmes les premières.

– Vous voyez, madame, que j’avais bien raison quand tout à l’heure je souhaitais un précepteur qui pût me guider dans les habitudes françaises.»

En ce moment la camériste favorite de Mme la baronne Danglars entra, et s’approchant de sa maîtresse, lui glissa quelques mots à l’oreille.

Mme Danglars pâlit.

«Impossible! dit-elle.

– C’est l’exacte vérité, cependant, madame», répondit la camériste.

Mme Danglars se retourna du côté de son mari.

«Est-ce vrai, monsieur?

– Quoi, madame? demanda Danglars visiblement agité.

– Ce que me dit cette fille…

– Et que vous dit-elle?

– Elle me dit qu’au moment où mon cocher a été pour mettre mes chevaux à ma voiture, il ne les a pas trouvés à l’écurie; que signifie cela, je vous le demande?

– Madame, dit Danglars, écoutez-moi.

– Oh! je vous écoute, monsieur, car je suis curieuse de savoir ce que vous allez me dire; je ferai ces messieurs juges entre nous, et je vais commencer par leur dire ce qu’il en est. Messieurs, continua la baronne, M. le baron Danglars a dix chevaux à l’écurie; parmi ces dix chevaux, il y en a deux qui sont à moi, des chevaux charmants, les plus beaux chevaux de Paris; vous les connaissez, monsieur Debray, mes gris pommelé! Eh bien, au moment où Mme de Villefort m’emprunte ma voiture, où je la lui promets pour aller demain au Bois, voilà les deux chevaux qui ne se retrouvent plus! M. Danglars aura trouvé à gagner dessus quelques milliers de francs, et il les aura vendus. Oh! la vilaine race, mon Dieu! que celle des spéculateurs!

– Madame, répondit Danglars, les chevaux étaient trop vifs, ils avaient quatre ans à peine, ils me faisaient pour vous des peurs horribles.