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«- Il avait raison, répondit Luigi. Le désires-tu aussi ardemment que tu le dis?

«- Oui.

«- Eh bien tu l’auras!

«La jeune fille, étonnée, leva la tête pour le questionner; mais son visage était si sombre et si terrible que la parole se glaça sur ses lèvres.

«D’ailleurs, en disant ces paroles, Luigi s’était éloigné.

«Teresa le suivit des yeux dans la nuit tant qu’elle put l’apercevoir. Puis, lorsqu’il eut disparu, elle rentra chez elle en soupirant.

«Cette même nuit, il arriva un grand événement par l’imprudence sans doute de quelque domestique qui avait négligé d’éteindre les lumières; le feu prit à la villa San-Felice, juste dans les dépendances de l’appartement de la belle Carmela. Réveillée au milieu de la nuit par la lueur des flammes, elle avait sauté au bas de son lit, s’était enveloppée de sa robe de chambre, et avait essayé de fuir par la porte; mais le corridor par lequel il fallait passer était déjà la proie de l’incendie. Alors elle était rentrée dans sa chambre, appelant à grands cris du secours, quand tout à coup sa fenêtre, située à vingt pieds du sol, s’était ouverte; un jeune paysan s’était élancé dans l’appartement, l’avait prise dans ses bras, et, avec une force et une adresse surhumaines l’avait transportée sur le gazon de la pelouse, où elle s’était évanouie. Lorsqu’elle avait repris ses sens, son père était devant elle. Tous les serviteurs l’entouraient, lui portant des secours. Une aile tout entière de la villa était brûlée; mais qu’importait, puisque Carmela était saine et sauve.

«On chercha partout son libérateur, mais son libérateur ne reparut point; on le demanda à tout le monde, mais personne ne l’avait vu. Quant à Carmela, elle était si troublée qu’elle ne l’avait point reconnu.

«Au reste, comme le comte était immensément riche, à part le danger qu’avait couru Carmela, et qui lui parut, par la manière miraculeuse dont elle y avait échappé, plutôt une nouvelle faveur de la Providence qu’un malheur réel, la perte occasionnée par les flammes fut peu de chose pour lui.

«Le lendemain, à l’heure habituelle, les deux jeunes gens se retrouvèrent à la lisière de la forêt. Luigi était arrivé le premier. Il vint au-devant de la jeune fille avec une grande gaieté; il semblait avoir complètement oublié la scène de la veille. Teresa était visiblement pensive, mais en voyant Luigi ainsi disposé, elle affecta de son côté l’insouciance rieuse qui était le fond de son caractère quand quelque passion ne le venait pas troubler.

«Luigi prit le bras de Teresa sous le sien, et la conduisit jusqu’à la porte de la grotte. Là il s’arrêta. La jeune fille, comprenant qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire, le regarda fixement.

«- Teresa, dit Luigi, hier soir tu m’as dit que tu donnerais tout au monde pour avoir un costume pareil à celui de la fille du comte?

«- Oui, dit Teresa, avec étonnement, mais j’étais folle de faire un pareil souhait.

«- Et moi, je t’ai répondu: C’est bien, tu l’auras.

«- Oui, reprit la jeune fille, dont l’étonnement croissait à chaque parole de Luigi; mais tu as répondu cela sans doute pour me faire plaisir.

«- Je ne t’ai jamais rien promis que je ne te l’aie donné, Teresa, dit orgueilleusement Luigi; entre dans la grotte et habille-toi.

«À ces mots, il tira la pierre, et montra à Teresa la grotte éclairée par deux bougies qui brûlaient de chaque côté d’un magnifique miroir; sur la table rustique, faite par Luigi, étaient étalés le collier de perles et les épingles de diamants; sur une chaise à côté était déposé le reste du costume.

«Teresa poussa un cri de joie, et, sans s’informer d’où venait ce costume, sans prendre le temps de remercier Luigi, elle s’élança dans la grotte transformée en cabinet de toilette.

«Derrière elle Luigi repoussa la pierre, car il venait d’apercevoir, sur la crête d’une petite colline qui empêchait que de la place où il était on ne vît Palestrina, un voyageur à cheval, qui s’arrêta un instant comme incertain de sa route, se dessinant sur l’azur du ciel avec cette netteté de contour particulière aux lointains des pays méridionaux.

«En apercevant Luigi, le voyageur mit son cheval au galop, et vint à lui.

«Luigi ne s’était pas trompé; le voyageur, qui allait de Palestrina à Tivoli, était dans le doute de son chemin.

«Le jeune homme le lui indiqua; mais, comme à un quart de mille de là la route se divisait en trois sentiers, et qu’arrivé à ces trois sentiers le voyageur pouvait de nouveau s’égarer, il pria Luigi de lui servir de guide.

«Luigi détacha son manteau et le déposa à terre, jeta sur son épaule sa carabine, et, dégagé ainsi du lourd vêtement, marcha devant le voyageur de ce pas rapide du montagnard que le pas d’un cheval a peine à suivre.

«En dix minutes, Luigi et le voyageur furent à l’espèce de carrefour indiqué par le jeune pâtre.

«Arrivés là, d’un geste majestueux comme celui d’un empereur, il étendit la main vers celle des trois routes que le voyageur devait suivre:

«- Voilà votre chemin, dit-il, Excellence, vous n’avez plus à vous tromper maintenant.

«- Et toi, voici ta récompense, dit le voyageur en offrant au jeune pâtre quelques pièces de menue monnaie.

«- Merci, dit Luigi en retirant sa main; je rends un service, je ne le vends pas.

«- Mais», dit le voyageur, qui paraissait du reste habitué à cette différence entre la servilité de l’homme des villes et l’orgueil du campagnard, «si tu refuses un salaire, tu acceptes au moins un cadeau.

«- Ah! oui, c’est autre chose.

«- Eh bien, dit le voyageur, prends ces deux sequins de Venise, et donne-les à ta fiancée pour en faire une paire de boucles d’oreilles.

«- Et vous, alors, prenez ce poignard, dit le jeune pâtre, vous n’en trouveriez pas un dont la poignée fût mieux sculptée d’Albano à Civita-Castellana.

«- J’accepte, dit le voyageur; mais alors, c’est moi qui suis ton obligé, car ce poignard vaut plus de deux sequins.

«- Pour un marchand peut-être, mais pour moi, qui l’ai sculpté moi-même, il vaut à peine une piastre.

«- Comment t’appelles-tu? demanda le voyageur.

«- Luigi Vampa, répondit le pâtre du même air qu’il eût répondu: Alexandre, roi de Macédoine. Et vous?

«- Moi, dit le voyageur, je m’appelle Simbad le marin.»

Franz d’Épinay jeta un cri de surprise.

«Simbad le marin! dit-il.

– Oui, reprit le narrateur, c’est le nom que le voyageur donna à Vampa comme étant le sien.

– Eh bien, mais, qu’avez-vous à dire contre ce nom? interrompit Albert; c’est un fort beau nom, et les aventures du patron de ce monsieur m’ont, je dois l’avouer, fort amusé dans ma jeunesse.»