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Dans les crises qui suivent ces grandes catastrophes, on est avare de sa douleur comme d’un trésor, et l’on tient pour ennemi quiconque tente de nous en distraire la moindre partie.

Charles IX poussa donc la porte, et laissant Nancey dans le corridor, il entra pâle et tremblant.

Ni l’une ni l’autre des femmes ne l’avait vu. Gillonne seule, qui dans ce moment portait secours à Henriette, se releva sur un genou et tout effrayée regarda le roi.

Le roi fit un geste de la main, elle se releva, fit la révérence, et sortit.

Alors Charles se dirigea vers Marguerite, la regarda un instant en silence; puis avec une intonation dont on eût cru cette voix incapable:

– Margot! dit-il, ma sœur! La jeune femme tressaillit et se redressa:

– Votre Majesté! dit-elle.

– Allons, ma sœur, du courage! Marguerite leva les yeux au ciel.

– Oui, dit Charles, je sais bien, mais écoute-moi. La reine de Navarre fit signe qu’elle écoutait.

– Tu m’as promis de venir au bal, dit Charles.

– Moi! s’écria Marguerite.

– Oui, et d’après ta promesse on t’attend; de sorte que si tu ne venais pas on serait étonné de ne pas t’y voir.

– Excusez-moi, mon frère, dit Marguerite; vous le voyez, je suis bien souffrante.

– Faites un effort sur vous-même.

Marguerite parut un instant tentée de rappeler son courage, puis tout à coup s’abandonnant et laissant retomber sa tête sur ses coussins:

– Non, non, je n’irai pas, dit-elle.

Charles lui prit la main, s’assit sur sa chaise longue, et lui dit:

– Tu viens de perdre un ami, je le sais, Margot; mais regarde-moi, n’ai-je pas perdu tous mes amis, moi! et de plus, ma mère! Toi, tu as toujours pu pleurer à l’aise comme tu pleures en ce moment; moi, à l’heure de mes plus fortes douleurs, j’ai toujours été forcé de sourire. Tu souffres, regarde-moi! moi, je meurs. Eh bien, Margot, voyons, du courage! Je te le demande, ma sœur, au nom de notre gloire! Nous portons comme une croix d’angoisses la renommée de notre maison, portons-la comme le Seigneur jusqu’au Calvaire! et si sur la route, comme lui, nous trébuchons, relevons-nous, courageux et résignés comme lui.

– Oh! mon Dieu, mon Dieu! s’écria Marguerite.

– Oui, dit Charles, répondant à sa pensée; oui, le sacrifice est rude, ma sœur; mais chacun fait le sien, les uns de leur honneur, les autres de leur vie. Crois-tu qu’avec mes vingt-cinq ans et le plus beau trône du monde, je ne regrette pas de mourir? Eh bien, regarde-moi… mes yeux, mon teint, mes lèvres sont d’un mourant, c’est vrai; mais mon sourire… est-ce que mon sourire ne ferait pas croire que j’espère? Et, cependant, dans huit jours, un mois tout au plus, tu me pleureras, ma sœur, comme celui qui est mort aujourd’hui.

– Mon frère!… s’écria Margot en jetant ses deux bras autour du cou de Charles.

– Allons, habillez-vous, chère Marguerite, dit le roi; cachez votre pâleur et paraissez au bal. Je viens de donner ordre qu’on vous apporte des pierreries nouvelles et des ajustements dignes de votre beauté.

– Oh! des diamants, des robes, dit Marguerite, que m’importe tout cela maintenant!

– La vie est longue, Marguerite, dit en souriant Charles, pour toi du moins.

– Jamais! jamais!

– Ma sœur, souviens-toi d’une chose: quelquefois c’est en étouffant ou plutôt en dissimulant la souffrance que l’on honore le mieux les morts.

– Eh bien, Sire, dit Marguerite frissonnante, j’irai. Une larme, qui fut bue aussitôt par sa paupière aride, mouilla l’œil de Charles. Il s’inclina vers sa sœur, la baisa au front, s’arrêta un instant devant Henriette, qui ne l’avait ni vu ni entendu, et dit:

– Pauvre femme! Puis il sortit silencieusement. Derrière le roi, plusieurs pages entrèrent, apportant des coffres et des écrins. Marguerite fit signe de la main que l’on déposât tout cela à terre. Les pages sortirent, Gillonne resta seule.

– Prépare-moi tout ce qu’il me faut pour m’habiller, Gillonne, dit Marguerite. La jeune fille regarda sa maîtresse d’un air étonné.

– Oui, dit Marguerite avec un accent dont il serait impossible de rendre l’amertume, oui, je m’habille, je vais au bal, on m’attend là-bas. Dépêche-toi donc! la journée aura été complète: fête à la Grève ce matin, fête au Louvre ce soir.

– Et madame la duchesse? dit Gillonne.

– Oh! elle, elle est bien heureuse; elle peut rester ici; elle peut pleurer, elle peut souffrir tout à son aise. Elle n’est pas fille de roi, femme de roi, sœur de roi. Elle n’est pas reine. Aide-moi à m’habiller, Gillonne.

La jeune fille obéit. Les parures étaient magnifiques, la robe splendide. Jamais Marguerite n’avait été si belle. Elle se regarda dans une glace.

– Mon frère a bien raison, dit-elle, et c’est une bien misérable chose que la créature humaine. En ce moment Gillonne revint.

– Madame, dit-elle, un homme est là qui vous demande.

– Moi?

– Oui, vous.

– Quel est cet homme?

– Je ne sais, mais son aspect est terrible, et sa seule vue m’a fait frissonner.

– Va lui demander son nom, dit Marguerite en pâlissant. Gillonne sortit, et quelques instants après elle rentra.

– Il n’a pas voulu me dire son nom, madame, mais il m’a priée de vous remettre ceci.

Gillonne tendit à Marguerite le reliquaire qu’elle avait donné la veille au soir à La Mole.

– Oh! fais entrer, fais entrer, dit vivement la reine.

Et elle devint plus pâle et plus glacée encore qu’elle n’était.

Un pas lourd ébranla le parquet. L’écho, indigné sans doute de répéter un pareil bruit, gronda sous le lambris, et un homme parut sur le seuil.

– Vous êtes…? dit la reine.

– Celui que vous rencontrâtes un jour près de Montfaucon, madame, et qui ramena au Louvre, dans son tombereau, deux gentilshommes blessés.

– Oui, oui, je vous reconnais, vous êtes maître Caboche.

– Bourreau de la prévôté de Paris, madame. C’étaient les seuls mots que Henriette avait entendus de tous ceux que depuis une heure on prononçait autour d’elle. Elle dégagea sa tête pâle de ses deux mains et regarda le bourreau avec ses yeux d’émeraude, d’où semblait sortir un double jet de flammes.

– Et vous venez…? dit Marguerite tremblante.