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– La reine mère à moi! avait-elle donc à me parler?

– Comment! vous ne l’avez pas vue?

– Non.

– Et le roi Charles?

– Non.

– Et le roi de Navarre?

– Non.

– Mais le duc d’Alençon, vous l’avez vu?

– Oui, tout à l’heure, je l’ai rencontré dans le corridor.

– Que vous a-t-il dit?

– Qu’il avait à me donner quelques ordres entre neuf et dix heures du soir.

– Et pas autre chose?

– Pas autre chose.

– C’est étrange.

– Mais enfin, que trouvez-vous d’étrange, dites-moi?

– Que vous n’ayez entendu parler de rien.

– Que s’est-il donc passé?

– Il s’est passé que pendant toute cette journée, malheureux, vous avez été suspendu sur un abîme.

– Moi?

– Oui, vous.

– À quel propos?

– Écoutez. De Mouy, surpris cette nuit dans la chambre du roi de Navarre, que l’on voulait arrêter, a tué trois hommes, et s’est sauvé, sans que l’on reconnût de lui autre chose que le fameux manteau rouge.

– Eh bien?

– Eh bien, ce manteau rouge qui m’avait trompée une fois en a trompé d’autres aussi: vous avez été soupçonné, accusé même de ce triple meurtre. Ce matin on voulait vous arrêter, vous juger, qui sait? vous condamner peut-être, car pour vous sauver vous n’eussiez pas voulu dire où vous étiez, n’est-ce pas?

– Dire où j’étais! s’écria La Mole, vous compromettre, vous, ma belle Majesté! Oh! vous avez bien raison; je fusse mort en chantant pour épargner une larme à vos beaux yeux.

– Hélas! mon pauvre gentilhomme! dit Marguerite, mes beaux yeux eussent bien pleuré.

– Mais comment s’est apaisé ce grand orage?

– Devinez.

– Que sais-je, moi?

– Il n’y avait qu’un moyen de prouver que vous n’étiez pas dans la chambre du roi de Navarre.

– Lequel?

– C’était de dire où vous étiez.

– Eh bien?

– Eh bien, je l’ai dit!

– Et à qui?

– À ma mère.

– Et la reine Catherine…

– La reine Catherine sait que vous êtes mon amant.

– Oh! madame, après avoir tant fait pour moi, vous pouvez tout exiger de votre serviteur. Oh! vraiment, c’est beau et grand, Marguerite, ce que vous avez fait là! Oh! Marguerite, ma vie est bien à vous!

– Je l’espère, car je l’ai arrachée à ceux qui me la voulaient prendre; mais à présent vous êtes sauvé.

– Et par vous! s’écria le jeune homme, par ma reine adorée!

Au même moment un bruit éclatant les fit tressaillir. La Mole se rejeta en arrière plein d’un vague effroi; Marguerite poussa un cri, demeura les yeux fixés sur la vitre brisée d’une fenêtre.

Par cette vitre un caillou de la grosseur d’un œuf venait d’entrer; il roulait encore sur le parquet. La Mole vit à son tour le carreau cassé et reconnut la cause du bruit.

– Quel est l’insolent?… s’écria-t-il. Et il s’élança vers la fenêtre.

– Un moment, dit Marguerite; à cette pierre est attaché quelque chose, ce me semble.

– En effet, dit La Mole, on dirait un papier.

Marguerite se précipita sur l’étrange projectile, et arracha la mince feuille qui, pliée comme un étroit ruban, enveloppait le caillou par le milieu.

Ce papier était maintenu par une ficelle, laquelle sortait par l’ouverture de la vitre cassée.

Marguerite déplia la lettre et lut.

– Malheureux! s’écria-t-elle. Elle tendit le papier à La Mole pâle, debout et immobile comme la statue de l’Effroi. La Mole, le cœur serré d’une douleur pressentimentale, lut ces mots: «On attend M. de La Mole avec de longues épées dans le corridor qui conduit chez M. d’Alençon. Peut-être aimerait-il mieux sortir par cette fenêtre et aller rejoindre M. de Mouy à Mantes…»

– Eh! demanda La Mole après avoir lu, ces épées sont-elles donc plus longues que la mienne?

– Non, mais il y en a peut-être dix contre une.

– Et quel est l’ami qui nous envoie ce billet? demanda La Mole.

Marguerite le reprit des mains du jeune homme et fixa sur lui un regard ardent.

– L’écriture du roi de Navarre! s’écria-t-elle. S’il prévient, c’est que le danger est réel. Fuyez, La Mole, fuyez, c’est moi qui vous en prie.

– Et comment voulez-vous que je fuie? dit La Mole.

– Mais cette fenêtre, ne parle-t-on pas de cette fenêtre?

– Ordonnez, ma reine, et je sauterai de cette fenêtre pour vous obéir, dussé-je vingt fois me briser en tombant.

– Attendez donc, attendez donc, dit Marguerite. Il me semble que cette ficelle supporte un poids.

– Voyons, dit La Mole. Et tous deux, attirant à eux l’objet suspendu après cette corde, virent avec une joie indicible apparaître l’extrémité d’une échelle de crin et de soie.

– Ah! vous êtes sauvé, s’écria Marguerite.

– C’est un miracle du ciel!

– Non, c’est un bienfait du roi de Navarre.

– Et si c’était un piège, au contraire? dit La Mole; si cette échelle devait se briser sous mes pieds! madame, n’avez-vous point avoué aujourd’hui votre affection pour moi?

Marguerite, à qui la joie avait rendu ses couleurs, redevint d’une pâleur mortelle.

– Vous avez raison, dit-elle, c’est possible. Et elle s’élança vers la porte.

– Qu’allez-vous faire? s’écria La Mole.

– M’assurer par moi-même s’il est vrai qu’on vous attende dans le corridor.

– Jamais, jamais! Pour que leur colère tombe sur vous!

– Que voulez-vous qu’on fasse à une fille de France? femme et princesse du sang, je suis deux fois inviolable.

La reine dit ces paroles avec une telle dignité qu’en effet La Mole comprit qu’elle ne risquait rien, et qu’il devait la laisser agir comme elle l’entendrait.