– M. de Bussy? fit d'Épernon; effectivement, je ne le vois pas. Il paraît qu'il se fait tirer l'oreille, ce matin.
– Nous avons bien attendu jusqu'à présent, dit Schomberg; nous attendrons bien encore.
– M. de Bussy ne viendra pas, répondit Antraguet.
Une stupeur profonde se peignit sur tous les visages; celui de d'Épernon seul exprima un autre sentiment.
– Il ne viendra pas! dit-il; ah! ah! le brave des braves a donc peur?
– Ce ne peut être pour cela, reprit Quélus.
– Vous avez raison, monsieur, dit Livarot.
– Et pourquoi ne viendra-t-il pas? demanda Maugiron.
– Parce qu'il est mort! répliqua Antraguet.
– Mort! s'écrièrent les mignons.
D'Épernon ne dit rien, et pâlit même légèrement.
– Et mort assassiné! reprit Antraguet. Ne le savez-vous pas, messieurs?
– Non, dit Quélus. Et pourquoi le saurions-nous?
– D'ailleurs, est-ce sûr? demanda d'Épernon.
Antraguet tira sa rapière.
– Si sûr, dit-il, que voilà de son sang sur mon épée.
– Assassiné! s'écrièrent les trois amis du roi. M. de Bussy assassiné!
D'Épernon continuait de secouer la tête d'un air de doute.
– Ce sang crie vengeance! dit Ribérac; ne l'entendez-vous pas, messieurs?
– Ah çà! reprit Schomberg, on dirait que votre douleur a un sens.
– Pardieu! fit Antraguet.
– Qu'est-ce à dire? s'écria Quélus.
– Cherche à qui le crime profite, dit le légiste, murmura Livarot.
– Ah ça, messieurs, vous expliquerez-vous haut et clair? dit Maugiron d'une voix tonnante.
– Nous venons justement pour cela, messieurs, dit Ribérac, et nous avons plus de sujets qu'il n'en faut pour nous égorger cent fois.
– Alors, vite l'épée à la main, dit d'Épernon en tirant son arme du fourreau; et faisons vite.
– Oh! oh! vous êtes bien pressé, monsieur le Gascon, dit Livarot; vous ne chantiez pas si haut quand nous étions quatre contre quatre.
– Est-ce notre faute, si vous n'êtes plus que trois? répondit d'Épernon.
– Oui, c'est votre faute! s'écria Antraguet; il est mort parce qu'on l'aimait mieux couché dans la tombe que debout sur le terrain; il est mort le poing coupé, pour que son poing ne pût plus soutenir son épée; il est mort parce qu'il fallait à tout prix éteindre ses yeux, dont l'éclair vous eût ébloui tous quatre. Comprenez-vous? suis-je clair?
Schomberg, Maugiron et d'Épernon hurlaient de rage.
– Assez, assez, messieurs! dit Quélus. Retirez-vous, monsieur d'Épernon; nous nous battrons trois contre trois; ces messieurs verront alors si, malgré notre droit, nous sommes gens à profiter d'un malheur que nous déplorons comme eux. Venez, messieurs, venez, ajouta le jeune homme en jetant son chapeau en arrière et en levant la main gauche, tandis que de la droite il faisait siffler son épée; venez, et, en nous voyant combattre à ciel ouvert et sous le regard de Dieu, vous pourrez juger si nous sommes des assassins. Allons, de l'espace! de l'espace!
– Ah! je vous haïssais, dit Schomberg, maintenant je vous exècre!
– Et moi, dit Antraguet, il y a une heure je vous eusse tué, maintenant je vous égorgerais. En garde, messieurs, en garde!
– Avec nos pourpoints ou sans pourpoints? demanda Schomberg.
– Sans pourpoint, sans chemise, dit Antraguet; la poitrine à nu, le cœur à découvert.
Les jeunes gens jetèrent leurs pourpoints et arrachèrent leurs chemises.
– Tiens, dit Quélus en se dévêtant, j'ai perdu ma dague. Elle tenait mal au fourreau, et sera tombée en route.
– Ou vous l'aurez laissée chez M. de Monsoreau, place de la Bastille, dit Antraguet, dans quelque fourreau dont vous n'aurez pas osé la retirer.
Quélus poussa un hurlement de rage, et tomba en garde.
– Mais il n'a pas de dague, monsieur Antraguet, il n'a pas de dague! cria Chicot, qui arrivait en ce moment sur le champ de bataille.
– Tant pis pour lui, dit Antraguet; ce n'est point ma faute.
Et, tirant sa dague de la main gauche, il tomba en garde de son côté.
XXXVII Le combat
Le terrain sur lequel allait avoir lieu cette terrible rencontre était ombragé d'arbres, ainsi que nous l'avons vu, et situé à l'écart.
Il n'était fréquenté d'ordinaire que par les enfants, qui venaient y jouer le jour, ou les ivrognes et les voleurs, qui venaient y dormir la nuit.
Les barrières, dressées par les marchands de chevaux, écartaient naturellement la foule, qui, semblable aux flots d'une rivière, suit toujours un courant, et ne s'arrête ou ne revient qu'attirée par quelque remous.
Les passants longeaient cet espace et ne s'y arrêtaient point.
D'ailleurs, il était de trop bonne heure, et l'empressement général se portait vers la maison sanglante de Monsoreau.
Chicot, le cœur palpitant, bien qu'il ne fût pas fort tendre de sa nature, s'assit en avant des laquais et des pages sur une balustrade de bois.
Il n'aimait pas les Angevins, il détestait les mignons; mais les uns et les autres étaient de braves jeunes gens, et sous leur chair courait un sang généreux que bientôt on allait voir jaillir au grand jour.
D'Épernon voulut risquer une dernière fois la bravade.
– Quoi! on a donc bien peur de moi? s'écria-t-il.
– Taisez-vous, bavard! lui dit Antraguet.
– J'ai mon droit, répliqua d'Épernon; la partie fut liée à huit.
– Allons, au large! dit Ribérac impatienté en lui barrant le passage.
Il s'en revint avec des airs de tête superbes, et rengaîna son épée.
– Venez, dit Chicot, venez, fleur des braves, sans quoi vous allez perdre encore une paire de souliers comme hier.
– Que dit ce maître fou?
– Je dis que tout à l'heure il y aura du sang par terre, et vous marcheriez dedans comme vous fîtes cette nuit.
D'Épernon devint blafard. Toute sa jactance tombait sous ce terrible reproche.
Il s'assit à dix pas de Chicot, qu'il ne regardait plus sans terreur.