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Ces sortes de détails, que nous trouvons dans les mémoires du temps, nous sommes forcé de les donner à nos lecteurs, attendu qu'ils ne les trouveraient pas dans les archives de la police. En effet, la police de ce bénin règne ne soupçonnait même pas ce qui se tramait, quoique le complot, comme on le pourra voir, fût d'importance, et les dignes bourgeois qui faisaient leur ronde nocturne, salade en tête et hallebarde au poing, ne le soupçonnaient pas plus qu'elle, n'étant point gens à deviner d'autres dangers que ceux qui résultent du feu, des voleurs, des chiens enragés et des ivrognes querelleurs.

De temps en temps, quelque patrouille s'arrêtait bien devant l'hôtel de la Belle-Étoile, rue de l'Arbre-Sec; mais maître la Hurière était connu pour un si zélé catholique, que l'on ne doutait point que le grand bruit qui se menait chez lui ne fût mené pour la plus grande gloire de Dieu.

Voilà dans quelles conditions la ville de Paris atteignit, jour par jour, le matin de cette grande solennité abolie par le gouvernement constitutionnel, et qu'on appelle la Fête-Dieu.

Le matin de ce grand jour, il faisait un temps superbe, et les fleurs qui jonchaient les rues envoyaient au loin leurs parfums embaumés. Ce matin, disons-nous, Chicot qui, depuis quinze jours, couchait assidûment dans la chambre du roi, réveilla Henri de bonne heure; personne n'était encore entré dans la chambre royale.

– Ah! mon pauvre Chicot, s'écria Henri, foin de toi! Je n'ai jamais vu homme plus mal choisir son temps. Tu me tires du plus doux songe que j'aie fait de ma vie.

– Et que rêvais-tu donc, mon fils? demanda Chicot.

– Je rêvais que Quélus avait transpercé Antraguet d'un coup de seconde, et qu'il nageait, ce cher ami, dans le sang de son adversaire. Mais voici le jour. Allons prier le Seigneur que mon rêve se réalise. Appelle, Chicot, appelle!

– Que veux-tu donc?

– Mon cilice et mes verges.

– Tu n'aimerais pas mieux un bon déjeuner? demanda Chicot.

– Païen, dit Henri, qui veux entendre la messe de la Fête-Dieu l'estomac plein!

– C'est juste.

– Appelle, Chicot, appelle!

– Patience, dit Chicot, il est huit heures à peine, et tu as le temps de te fustiger jusqu'à ce soir. Causons premièrement: veux-tu causer avec ton ami? tu ne t'en repentiras pas, Valois, foi de Chicot.

– Eh bien, causons, dit Henri; mais fais vite.

– Comment divisons-nous notre journée, mon fils?

– En trois parties.

– En l'honneur de la sainte Trinité, très bien. Voyons ces trois parties.

– D'abord la messe à Saint-Germain-l'Auxerrois.

– Bien.

– Au retour au Louvre, la collation.

– Très bien!

– Puis processions de pénitents par les rues, en s'arrêtant, pour faire des stations, dans les principaux couvents de Paris, en commençant par les Jacobins et en finissant par Sainte-Geneviève, où j'ai promis au prieur de faire retraite jusqu'au lendemain dans la cellule d'une espèce de saint qui passera la nuit en prières pour assurer le succès de nos armes.

– Je le connais.

– Le saint?

– Parfaitement.

– Tant mieux, tu m'accompagneras, Chicot; nous prierons ensemble.

– Oui, sois tranquille.

– Alors, habille-toi et viens.

– Attends donc!

– Quoi?

– J'ai encore quelques détails à te demander.

– Ne peux-tu les demander tandis qu'on m'accommodera?

– J'aime mieux te les demander tandis que nous sommes seuls.

– Fais donc vite, le temps se passe.

– Ta cour, que fait-elle?

– Elle me suit.

– Ton frère?

– Il m'accompagne.

– Ta garde?

– Les gardes françaises m'attendent avec Crillon au Louvre; les Suisses m'attendent à la porte de l'abbaye.

– À merveille! dit Chicot, me voilà renseigné.

– Je puis donc appeler?

– Appelle.

Henri frappa sur un timbre.

– La cérémonie sera magnifique, continua Chicot.

– Dieu nous en saura gré, je l'espère.

– Nous verrons cela demain. Mais, dis moi, Henri, avant que personne n'entre, tu n'as rien autre chose à me dire?

– Non. Ai-je oublié quelque détail du cérémonial?

– Ce n'est pas de cela que je te parle.

– De quoi me parles-tu donc?

– De rien.

Mais tu me demandes…

– S'il est bien arrêté que tu vas à l'abbaye Sainte-Geneviève?

– Sans doute.

– Et que tu y passes la nuit?

– Je l'ai promis.

– Eh bien, si tu n'as rien à me dire, mon fils, je te dirai moi, que ce cérémonial ne me convient pas, à moi.

– Comment?

– Non, et quand nous aurons dîné…

– Quand nous aurons dîné?

– Je te ferai part d'une autre disposition que j'ai imaginée.

– Soit, j'y consens.

– Tu n'y consentirais pas, mon fils, que ce serait encore la même chose.

– Que veux-tu dire?

– Chut! voici ton service qui entre dans l'antichambre.

En effet, les huissiers ouvrirent les portières, et l'on vit paraître le barbier, le parfumeur et le valet de chambre de Sa Majesté, qui, s'emparant du roi, se mirent à exécuter conjointement, sur son auguste personne, une de ces toilettes que nous avons décrites dans le commencement de cet ouvrage.

Lorsque la toilette de Sa Majesté fut aux deux tiers, on annonça Son Altesse monseigneur le duc d'Anjou.

Henri se retourna de son côté, préparant son meilleur sourire pour le recevoir.

Le duc était accompagné de M. de Monsoreau, de d'Épernon et Aurilly.

D'Épernon et d'Aurilly restèrent en arrière.

Henri, à la vue du comte encore pâle et dont la mine était plus effrayante que jamais, ne put retenir un mouvement de surprise.