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– Si, mordieu! je le vois; et, vrai, la fureur ne vous va pas le moins du monde; vous êtes affreux à voir comme cela, mon cher monsieur de Monsoreau.

Le comte, hors de lui, mit la main à son épée.

– Ah! faites attention, dit Saint-Luc, c'est vous qui me provoquez… Je vous prends vous-même à témoin que je suis parfaitement calme.

– Oui, muguet, dit Monsoreau, oui, mignon de couchette, je te provoque.

– Donnez-vous donc la peine de pauser de l'autre côté du mur, monsieur de Monsoreau; de l'autre côté du mur, nous serons sur un terrain neutre.

– Que m'importe? s'écria le comte.

– Il m'importe à moi, dit Saint-Luc; je ne veux pas vous tuer chez vous.

– À la bonne heure! dit Monsoreau en se hâtant de franchir la brèche.

– Prenez garde! allez doucement, comte! Il y a une pierre qui ne tient pas bien; il faut qu'elle ait été fort ébranlée. N'allez pas vous blesser, au moins; en vérité, je ne m'en consolerais pas.

Et Saint-Luc se mit à franchir la muraille à son tour.

– Allons! allons! hâte-toi, dit le comte en dégaînant.

– Et moi qui viens à la campagne pour mon agrément! dit Saint-Luc se parlant à lui-même; ma foi, je me serai bien amusé.

Et il sauta de l'autre côté du mur.

VI Comment M. de Saint-Luc montra à M. de Monsoreau le coup que le roi lui avait montré.

Monsieur de Monsoreau attendait Saint-Luc l'épée à la main, et en faisant des appels furieux avec le pied.

– Y es-tu? dit le comte.

– Tiens! fit Saint-Luc, vous n'avez pas pris la plus mauvaise place, le dos au soleil; ne vous gênez pas.

Monsoreau fit un quart de conversion.

– À la bonne heure! dit Saint-Luc, de cette façon je verrai clair à ce que je fais.

– Ne me ménages pas, dit Monsoreau, car j'irai franchement.

– Ah çà! dit Saint-Luc, vous voulez donc me tuer absolument?

– Si je le veux!… oh! oui… je le veux!

– L'homme propose et Dieu dispose! dit Saint-Luc en tirant son épée à son tour.

– Tu dis…

– Je dis… Regardez bien cette touffe de coquelicots et de pissenlits.

– Eh bien?

– Eh bien, je dis que je vais vous coucher dessus.

Et il se mit en garde, toujours riant.

Monsoreau engagea le fer avec rage, et porta avec une incroyable agilité à Saint-Luc deux ou trois coups que celui-ci para avec une agilité égale.

– Pardieu! monsieur de Monsoreau, dit-il tout en jouant avec le fer de son ennemi, vous tirez fort agréablement l'épée, et tout autre que moi ou Bussy eût été tué par votre dernier dégagement.

Monsoreau pâlit, voyant à quel homme il avait affaire.

– Vous êtes peut-être étonné, dit Saint-Luc, de me trouver si convenablement l'épée dans la main; c'est que le roi, qui m'aime beaucoup, comme vous savez, a pris la peine de me donner des leçons, et m'a montré, entre autres choses, un coup que je vous montrerai tout à l'heure. Je vous dis cela, parce que, s'il arrive que je vous tue de ce coup, vous aurez le plaisir de savoir que vous êtes tué d'un coup enseigné par le roi, ce qui sera excessivement flatteur pour vous.

– Vous avez infiniment d'esprit, monsieur, dit Monsoreau exaspéré en se fendant à fond pour porter un coup droit qui eût traversé une muraille.

– Dame! on fait ce qu'on peut, répliqua modestement Saint-Luc en se jetant de côté, forçant, par ce mouvement, son adversaire de faire une demi-volte qui lui mit en plein le soleil dans les yeux.

– Ah! ah! dit-il, voilà où je voulais vous voir, en attendant que je vous voie où je veux vous mettre. N'est-ce pas que j'ai assez bien conduit ce coup-là, hein? Aussi, je suis content, vrai, très content! Vous aviez tout à l'heure cinquante chances seulement sur cent d'être tué; maintenant vous en avez quatre-vingt-dix-neuf.

Et, avec une souplesse, une vigueur et une rage que Monsoreau ne lui connaissait pas, et que personne n'eût soupçonnées dans ce jeune homme efféminé, Saint-Luc porta de suite, et sans interruption, cinq coups au grand veneur, qui les para, tout étourdi de cet ouragan mêlé de sifflements et d'éclairs; le sixième fut un coup de prime composé d'une double feinte, d'une parade et d'une riposte dont le soleil l'empêcha de voir la première moitié, et dont il ne put voir la seconde, attendu que l'épée de Saint-Luc disparut tout entière dans sa poitrine.

Monsoreau resta encore un instant debout, mais comme un chêne déraciné qui n'attend qu'un souffle pour savoir de quel côté tomber.

– Là! maintenant, dit Saint-Luc, vous avez les cent chances complètes; et, remarquez ceci, monsieur, c'est que vous allez tomber juste sur la touffe que je vous ai indiquée.

Les forces manquèrent au comte; ses mains s'ouvrirent, son œil se voila; il plia les genoux et tomba sur les coquelicots, à la pourpre desquels il mêla son sang.

Saint-Luc essuya tranquillement son épée et regarda cette dégradation de nuances qui, peu à peu, change en un masque de cadavre le visage de l'homme qui agonise.

– Ah! vous m'avez tué, monsieur, dit Monsoreau.

– J'y tâchais, dit Saint-Luc; mais maintenant que je vous vois couché là, près de mourir, le diable m'emporte si je ne suis pas fâché de ce que j'ai fait! Vous m'êtes sacré à présent, monsieur; vous êtes horriblement jaloux, c'est vrai, mais vous étiez brave.

Et, tout satisfait de cette oraison funèbre, Saint-Luc mit un genou en terre près de Monsoreau, et lui dit:

– Avez-vous quelque volonté dernière à déclarer, monsieur? et, foi de gentilhomme, elle sera exécutée. Ordinairement, je sais cela, moi, quand on est blessé, on a soif: avez-vous soif? J'irai vous chercher à boire.

Monsoreau ne répondit pas. Il s'était retourné la face contre terre, mordant le gazon et se débattant dans son sang.

– Pauvre diable! fit Saint-Luc en se relevant. Oh! amitié, amitié, tu es une divinité bien exigeante!

Monsoreau ouvrit un œil alourdi, essaya de lever la tête et retomba avec un lugubre gémissement.

– Allons! il est mort! dit Saint-Luc; ne pensons plus à lui… C'est bien aisé à dire: ne pensons plus à lui… Voilà que j'ai tué un homme, moi, avec tout cela! On ne dira pas que j'ai perdu mon temps à la campagne.

Et aussitôt, enjambant le mur, il prit sa course à travers le parc et arriva au château.