De sorte que les meilleurs amis et les plus fidèles serviteurs de Bussy faisaient déjà des neuvaines pour son retour à la lumière, retour qui leur paraissait non moins hasardeux que celui de Pyrithoüs, tandis que les autres, plus positifs, ne comptant plus que sur son cadavre, faisaient, pour le retrouver, les recherches les plus minutieuses dans les égouts, dans les caves suspectes, dans les carrières de la banlieue, dans le lit de la Bièvre ou dans les fossés de la Bastille.
Une seule personne répondait quand on lui demandait des nouvelles de Bussy:
– M. le comte se porte bien.
Mais, si l'on voulait pousser plus loin l'interrogatoire, comme elle n'en savait pas davantage, les renseignements qu'elle pouvait donner s'arrêtaient là.
Cette personne, qui essuyait, grâce à cette réponse rassurante, mais peu détaillée, force rebuffades et mauvais compliments, était maître Remy le Haudouin, qui, du soir au matin, trottait menu, perdant son temps à des contemplations étranges, disparaissant de temps en temps de l'hôtel, soit le jour, soit la nuit, rentrant alors avec des appétits insolites, et ramenant par sa gaieté, chaque fois qu'il rentrait, un peu de joie au cœur de cette maison.
Le Haudouin, après une de ces absences mystérieuses, rentrait justement à l'hôtel au moment où la cour d'honneur retentissait des cris d'allégresse, où les valets empressés se jetaient sur la bride du cheval de Bussy et se disputaient à qui serait son écuyer, car le comte, au lieu de mettre pied à terre, demeurait à cheval.
– Voyons, disait Bussy, vous êtes satisfaits de me voir vivant, merci. Vous me demandez si c'est bien moi, regardez, touchez, mais faites bien vite. Bien, maintenant aidez ce digne gentilhomme à descendre de cheval, et faites attention que je le considère avec plus de respect que je ne ferais d'un prince.
Bussy avait raison de rehausser ainsi le vieillard, à qui l'on avait à peine fait attention d'abord, et qu'à ses habits modestes, à ses habits peu soucieux de la mode, et à son cheval pie, fort vite apprécié de gens qui chaque jour manœuvraient les chevaux de Bussy, on avait été tenté de prendre pour un écuyer mis en retraite dans quelque province, et que l'aventureux gentilhomme ramenait de cet exil comme d'un autre monde.
Mais, ces paroles prononcées, ce fut aussitôt à qui s'empresserait près du baron. Le Haudouin regardait la scène en riant sous cape, selon son habitude, et il fallut toute la gravité de Bussy pour forcer ce rire à disparaître du joyeux visage du jeune docteur.
– Vite une chambre à monseigneur! cria Bussy.
– Laquelle? demandèrent aussitôt cinq ou six voix empressées.
– La meilleure, la mienne.
Et à son tour il offrit son bras au vieillard pour gravir l'escalier, essayant de le recevoir avec plus d'honneur encore qu'il n'en avait été reçu.
M. de Méridor se laissait aller à cette entraînante courtoisie sans volonté, comme on se laisse aller à la pente de certains rêves qui vous conduisent à ces pays fantastiques, royaumes de l'imagination et de la nuit.
On apporta au baron le gobelet doré du comte, et Bussy voulut lui verser lui-même le vin de l'hospitalité.
– Merci, merci, monsieur, disait le vieillard; mais irons-nous bientôt où nous devons aller?
– Oui, seigneur Augustin, bientôt, soyez tranquille, et ce ne sera pas seulement un bonheur pour vous, mais pour moi.
– Que dites-vous, et d'où vient que vous me parlez presque toujours une langue que je ne comprends pas?
– Je dis, seigneur Augustin, que je vous ai parlé d'une providence miséricordieuse aux grands cœurs, et que nous approchons du moment où je vais, en votre nom, faire appel à cette providence.
Le baron regarda Bussy d'un air étonné, mais Bussy, en lui faisant de la main un signe respectueux, et qui voulait dire: Je reviens dans un instant, sortit le sourire sur les lèvres.
Comme il s'y attendait, le Haudouin était en sentinelle à la porte; il prit le jeune homme par le bras, et l'emmena dans un cabinet.
– Eh bien, cher Hippocrate, demanda-t-il, où en sommes-nous?
– Où cela?
– Parbleu! rue Saint-Antoine.
– Monseigneur, nous en sommes à un point fort intéressant pour vous, je présume. À ceci, rien de nouveau.
Bussy respira.
– Le mari n'est donc pas revenu? dit-il.
– Si fait; mais sans aucun succès. Il y a dans tout cela un père qui doit, à ce qu'il paraît, faire le dénoûment; un dieu qui, un matin où l'autre, descendra dans une machine; de sorte qu'on attend ce père absent, ce Dieu inconnu.
– Bon! dit Bussy; mais comment sais-tu tout cela?
– Comprenez bien, monseigneur, dit le Haudouin avec sa bonne et franche gaieté, que votre absence faisait momentanément de ma position près de vous une sinécure; j'ai voulu utiliser à votre avantage les moments que vous me laissiez.
– Voyons; qu'as-tu fait? raconte, mon cher Remy, j'écoute.
– Voici: vous parti, j'ai apporté de l'argent, des livres et une épée dans une petite chambre que j'avais louée et qui appartenait à la maison faisant l'angle de la rue Saint-Antoine et de la rue Sainte-Catherine.
– Bien.
– De là je pouvais voir, depuis ses soupiraux jusqu'à ses cheminées, la maison que vous connaissez.
– Fort bien!
– À peine en possession de ma chambre, je me suis installé à une fenêtre.
– Excellent!
– Oui, mais il y avait néanmoins un inconvénient à cette excellence-là.
– Lequel?
– C'est que, si je voyais, j'étais vu, et qu'on pouvait, à tout prendre, concevoir quelque ombrage d'un homme regardant sans cesse une même perspective; obstination qui m'eût, au bout de deux ou trois jours, fait passer pour un larron, un amant, un espion ou un fou…
– Puissamment raisonné, mon cher le Haudouin. Mais alors qu'as-tu fait?
– Oh! alors, monsieur le comte, j'ai vu qu'il fallait recourir aux grands moyens, et ma foi…
– Eh bien?
– Ma foi, je suis devenu amoureux.
– Hein? fit Bussy, qui ne comprenait pas en quoi l'amour de Remy pouvait le servir.
– C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire, répéta gravement le jeune docteur, amoureux, très amoureux, amoureux fou.
– De qui?
– De Gertrude.
– De Gertrude, la suivante de madame de Monsoreau?