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Nous marchâmes toute la nuit et nous nous arrêtâmes, comme la veille, au point du jour. Je calculai que nous devions avoir fait quinze lieues à peu près; au reste, toutes les précautions avaient été prises par M. de Monsoreau pour que je ne souffrisse ni de la fatigue ni du froid; la haquenée qu'il m'avait choisie avait le trot d'une douceur particulière, et, en sortant de la maison, on m'avait jeté sur les épaules un manteau de fourrure.

Cette halte ressembla à la première, et toutes nos courses nocturnes à celle que nous venions de faire: toujours les mêmes égards et les mêmes respects; partout les mêmes soins; il était évident que nous étions précédés par quelqu'un qui se chargeait de faire préparer les logis: était-ce le comte? je n'en sus rien, car, accomplissant cette partie de nos conventions avec la même régularité que les autres, pas une seule fois pendant la route je ne l'aperçus.

Vers le soir du septième jour, j'aperçus, du haut d'une colline, un grand amas de maisons. C'était Paris.

Nous fîmes halte pour attendre la nuit; puis, l'obscurité venue, nous nous remîmes en route; bientôt nous passâmes sous une porte au delà de laquelle le premier objet qui me frappa fut un immense édifice, qu'à ses hautes murailles je reconnus pour quelque monastère, puis nous traversâmes deux fois la rivière. Nous prîmes à droite, et, après dix minutes de marche, nous nous trouvâmes sur la place de la Bastille. Alors un homme qui semblait nous attendre se détacha d'une porte, et, s'approchant du chef de l'escorte:

– C'est ici, dit-il.

Le chef de l'escorte se retourna vers moi.

– Vous entendez, madame, nous sommes arrivés.

Et, sautant à bas de son cheval, il me présenta la main pour descendre de ma haquenée, comme il avait l'habitude de le faire à chaque station.

La porte était ouverte; une lampe éclairait l'escalier, posée sur les degrés.

– Madame, dit le chef de l'escorte, vous êtes ici chez vous; à cette porte finit la mission que nous avons reçue de vous accompagner; puis-je me flatter que cette mission a été accomplie selon vos désirs et avec le respect qui nous avait été recommandé?

– Oui, monsieur, lui dis-je, et je n'ai que des remercîments à vous faire. Offrez-les en mon nom aux braves gens qui m'ont accompagnée. Je voudrais les rémunérer d'une façon plus efficace; mais je ne possède rien.

– Ne vous inquiétez point de cela, madame, répondit celui auquel je présentais mes excuses; ils sont récompensés largement.

Et, remontant à cheval après m'avoir saluée:

– Venez, vous autres, dit-il, et que pas un de vous, demain matin, ne se souvienne assez de cette porte pour la reconnaître!

À ces mots, la petite troupe s'éloigna au galop et se perdit dans la rue Saint-Antoine.

Le premier soin de Gertrude fut de refermer la porte, et ce fut à travers le guichet que nous les vîmes s'éloigner.

Puis nous nous avançâmes vers l'escalier, éclairé par la lampe; Gertrude la prit et marcha devant.

Nous montâmes les degrés et nous nous trouvâmes dans le corridor; les trois portes en étaient ouvertes.

Nous prîmes celle du milieu et nous nous trouvâmes dans le salon où nous sommes. Il était tout éclairé comme en ce moment.

J'ouvris cette porte, et je reconnus un grand cabinet de toilette, puis cette autre, qui était celle de ma chambre à coucher, et, à mon grand étonnement, je me trouvai en face de mon portrait.

Je reconnus celui qui était dans la chambre de mon père, à Méridor; le comte l'avait sans doute demandé au baron et obtenu de lui.

Je frissonnai à cette nouvelle preuve que mon père me regardait déjà comme la femme de M. de Monsoreau.

Nous parcourûmes l'appartement, il était solitaire; mais rien n'y manquait: il y avait du feu dans toutes les cheminées, et, dans la salle à manger, une table toute servie m'attendait.

Je jetai rapidement les yeux sur cette table: il n'y avait qu'un seul couvert; je me rassurai.

– Eh bien, mademoiselle, me dit Gertrude, vous le voyez, le comte tient jusqu'au bout sa promesse.

– Hélas, oui, répondis-je avec un soupir, car j'eusse mieux aimé qu'en manquant à quelqu'une de ses promesses il m'eût dégagée des miennes.

Je soupai; puis une seconde fois nous fîmes la visite de toute la maison, mais sans y rencontrer âme vivante plus que la première fois; elle était bien à nous, et à nous seules.

Gertrude coucha dans ma chambre.

Le lendemain, elle sortit et s'orienta. Ce fut alors seulement que j'appris d'elle que nous étions au bout de la rue Saint-Antoine, en face l'hôtel des Tournelles, et que la forteresse qui s'élevait à ma droite était la Bastille.

Au reste, ces renseignements ne m'apprenaient pas grand'chose. Je ne connaissais point Paris, n'y étant jamais venue.

La journée s'écoula sans rien amener de nouveau: le soir, comme je venais de me mettre à table pour souper, on frappa à la porte.

Nous nous regardâmes, Gertrude et moi.

On frappa une seconde fois.

– Va voir qui frappe, lui dis-je.

– Si c'est le comte? demanda-t-elle en me voyant pâlir.

– Si c'est le comte, répondis-je en faisant un effort sur moi-même, ouvre-lui, Gertrude; il a fidèlement tenu ses promesses; il verra que, comme lui, je n'ai qu'une parole.

Un instant après Gertrude reparut.

– C'est M. le comte, madame, dit-elle.

– Qu'il entre, répondis-je.

Gertrude s'effaça et fit place au comte, qui parut sur le seuil.

– Eh bien, madame, me demanda-t-il, ai-je fidèlement accompli le traité?

– Oui, monsieur, répondis-je, et je vous en remercie.

– Vous voulez bien alors me recevoir chez vous, ajouta-t-il avec un sourire dont tous ses efforts ne pouvaient effacer l'ironie.

– Entrez, monsieur.

Le comte s'approcha et demeura debout. Je lui fis signe de s'asseoir.

– Avez-vous quelques nouvelles, monsieur? lui demandai-je.

– D'où et de qui, madame?

– De mon père et de Méridor avant tout.

– Je ne suis point retourné au château de Méridor, et n'ai pas revu le baron.

– Alors, de Beaugé et du duc d'Anjou?

– Ceci, c'est autre chose: je suis allé à Beaugé et j'ai parlé au duc.