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– Et qu'a-t-elle répondu?

– Elle n'a pas voulu croire d'abord. Mais, ajouta Bussy en jetant un coup d'œil du côté de l'embrasure de la fenêtre, j'espère qu'elle se sera enfin rendue à l'évidence. Demandez-moi donc autre chose, quelque chose de difficile, d'impossible même; il y aura plaisir à entreprendre cela.

– Alors, mon cher Bussy, empruntez pour quelques instants l'hippogriffe au gentil chevalier Astolfe, et amenez-le contre une de mes fenêtres; je monterai en croupe derrière vous, et vous me conduirez près de ma femme. Libre à vous de continuer après, si bon vous semble, votre voyage vers la lune.

– Mon cher, dit Bussy, il y a une chose plus simple, c'est de mener l'hippogriffe à votre femme, et que votre femme vienne vous trouver.

– Ici?

– Oui, ici.

– Au Louvre?

– Au Louvre même. Est-ce que ce ne serait pas plus drôle encore, dites?

– Oh! mordieu! je crois bien.

– Vous ne vous ennuierez plus?

– Non, ma foi.

– Car vous vous ennuyez, m'avez-vous dit?

– Demandez à Chicot. Depuis ce matin, je l'ai pris en horreur et lui ai proposé trois coups d'épée. Ce coquin s'est fâché que c'était à crever de rire. Eh bien, je n'ai pas sourcillé, moi. Mais je crois que si cela dure, je le tuerai tout de bon pour me distraire, ou que je m'en ferai tuer.

– Peste! ne vous y jouez pas; vous savez que Chicot est un rude tireur. Vous vous ennuieriez bien plus encore dans une bière que vous ne vous ennuyez dans votre prison, allez.

– Ma foi, je n'en sais rien.

– Voyons! dit Bussy riant, voulez-vous que je vous donne mon page?

– À moi?

– Oui, un garçon merveilleux.

– Merci, dit Saint-Luc, je déteste les pages. Le roi, m'a offert de faire venir celui des miens qui m'agréait le plus, et j'ai refusé. Offrez-le au roi qui monte sa maison. Moi, je ferai en sortant d'ici ce qu'on fit à Chenonceaux lors du festin vert, je ne me ferai plus servir que par des femmes, et encore, je ferai moi-même le programme du costume.

– Bah! dit Bussy insistant, essayez toujours.

– Bussy, dit Saint-Luc dépité, ce n'est pas bien à vous de me railler ainsi.

– Laissez moi faire.

– Mais non.

– Quand je vous dis que je sais ce qu'il vous faut.

– Mais non, non, non, cent fois non!

– Holà! page, venez ici.

– Mordieu! s'écria Saint-Luc.

Le page quitta sa fenêtre, et vint tout rougissant.

– Oh! oh! murmura Saint-Luc, stupéfait de reconnaître Jeanne sous la livrée de Bussy.

– Eh bien, demanda Bussy, faut il le renvoyer?

– Non, vrai Dieu! non, s'écria Saint-Luc. Ah! Bussy, Bussy, c'est moi qui vous dois une amitié éternelle!

– Vous savez qu'on ne vous entend pas, Saint-Luc, mais qu'on vous regarde.

– C'est vrai, dit celui-ci.

Et, après avoir fait deux pas vers sa femme, il en fit trois en arrière.

En effet, M. de Nancey, étonné de la pantomime par trop expressive de Saint-Luc, commençait à prêter l'oreille, quand un grand bruit, venant de la galerie vitrée, le fit sortir de sa préoccupation.

– Ah! mon Dieu! s'écria M. de Nancey, voilà le roi qui querelle quelqu'un, ce me semble.

– Je le crois, en effet, répliqua Bussy jouant l'inquiétude; serait-ce, par hasard, M. le duc d'Anjou, avec lequel je suis venu?

Le capitaine des gardes assura son épée à son côté, et partit dans la direction de la galerie où, en effet, le bruit d'une vive discussion perçait voûtes et murailles.

– Dites que je n'ai pas bien fait les choses? dit Bussy en se retournant vers Saint-Luc.

– Qu'y a-t-il donc? demanda celui-ci.

– Il y a que M. d'Anjou et le roi se déchirent en ce moment, et que, comme ce doit être un superbe spectacle, j'y cours pour n'en rien perdre. Vous, profitez de la bagarre, non pas pour fuir, le roi vous rejoindrait toujours, mais pour mettre en lieu de sûreté ce beau page que je vous donne; est-ce possible?

– Oui, pardieu! et d'ailleurs, si cela ne l'était pas, il faudrait bien que cela le devînt, mais heureusement j'ai fait le malade, je garde la chambre.

– En ce cas, adieu, Saint-Luc; madame, ne m'oubliez pas dans vos prières.

Et Bussy, tout joyeux d'avoir joué ce mauvais tour à Henri III, sortit de l'antichambre et gagna la galerie où le roi, rouge de colère, soutenait au duc d'Anjou, pâle de rage, que, dans la scène de la nuit précédente, c'était Bussy qui était le provocateur.

– Je vous affirme, sire, s'écriait le duc d'Anjou, que d'Épernon, Schomberg, d'O, Maugiron et Quélus l'attendaient à l'hôtel des Tournelles.

– Qui vous l'a dit?

– Je les ai vus moi-même, sire, de mes deux yeux vus.

– Dans l'obscurité, n'est-ce pas? la nuit était noire comme l'intérieur d'un four.

– Aussi n'est-ce point au visage que je les ai reconnus.

– À quoi donc? aux épaules?

– Non, sire, à la voix.

– Ils vous ont parlé?

– Ils ont fait mieux que cela, ils m'ont pris pour Bussy et m'ont chargé.

– Vous?

– Oui, moi.

– Et qu'alliez vous faire à la porte Saint-Antoine?

– Que vous importe?

– Je veux le savoir, moi. Je suis curieux aujourd'hui.

– J'allais chez Manassès.

– Chez Manassès, un juif!

– Vous allez bien chez Ruggieri, un empoisonneur.

– Je vais où je veux, je suis le roi.

– Ce n'est pas répondre, c'est assommer.

– D'ailleurs, comme je l'ai dit, c'est Bussy qui a été le provocateur.

– Bussy?

– Oui.

– Où cela?

– Au bal de Saint-Luc.

– Bussy a provoqué cinq hommes? Allons donc! Bussy est brave, mais Bussy n'est pas fou.