Je ne pouvais pas, m'empêcher de penser:
… dans une autre vie peut-être, mon éditeur m'aurait emmenée déjeuner là "parce que c'est plus pratique", m'aurait fait rire aussi et proposé un vin bien meilleur que ce côteaux-de-Provence… m'aurait pressée de terminer ce roman "étonnamment mûr pour une jeune femme de votre âge…" puis pris le bras en me raccompagnant vers une borne de taxis. Il m'aurait fait un peu de charme…
… dans une autre vie sûrement.
Bon ben… c'est pas le tout Marguerite, mais j'ai du repassage qui m'attend moi…
Je me suis levée d'un bond en tirant sur mon jean et je me suis dirigée vers une jeune femme splendide assise sur le socle d'une statue d'Auguste Comte.
Regardez-la.
Belle, sensuelle, racée, avec des jambes irréprochables et des chevilles très fines, le nez retroussé, le front bombé, l'allure belliqueuse et fière.
Habillée avec de la ficelle et des tatouages.
Les lèvres et les ongles peints en noir. Une fille incroyable.
Elle jetait régulièrement des regards agacés vers la rue adjacente. Je crois que son amoureux était en retard.
Je lui ai tendu mon manuscrit:
– Tenez, j'ai dit, cadeau. Pour que le temps vous paraisse moins long.
Je crois qu'elle m'a remerciée mais je n'en suis pas certaine parce qu'elle n'était pas française Navrée par ce petit détail, j'ai bien failli reprendre mon magnifique don et puis… à quoi bon me suis-je dit, et en m'éloignant, j'étais même plutôt contente.
Mon manuscrit se trouvait désormais entre les mains de la plus belle fille du monde.
Ca me consolait.
Un peu.