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Les gens aperçurent dans Ja yallée, entre le flanc arraché de la montagne et l’observatoire, un large sillon aux bords calcinés. L’observatoire était intact. Le sillon avait atteint le mur sud-est, détruit les cabines de transformateurs attenantes, et butaiî contre la coupole de la salle souterraine, recouverte d’une couche de basalte de quatre mètres d’épaisseur. Le ba-zalte était usé, comme par un gigantesque polissoir, mais une partie avait tenu bon, sauvant la vie à Mven Mas et protégeant le caveau.

Un ruisseau d’argent s’était figé dans une dépression du terrain: c’étaient les fusibles fondus de la station énergétique de réception.

On réussit bientôt à rétablir les câbles de l’éclairage auxiliaire. Le phare de la voie d’accès illumina un spectacle extraordinaire: le métal de l’installation expérimentale s’étendait en couche mince sur le chemin qui en paraissait chromé.

Dans l’escarpement abrupt, comme tranché au couteau, s’incrustait un morceau de spirale en bronze. La pierre s’étalait en couche vitreuse, telle la cire sous le cachet brûlant. Les spires du métal rougeâtre, semé de contacts en rhénium, y scintillaient comme une fleur d’émail. A la vue de ce bijou de deux cents mètres de diamètre, on était épouvanté par la force mystérieuse qui l’avait fabriqué.

Quand on eut déblayé l’entrée du souterrain, on trouva Mven Mas à genoux, la tête sur la marche inférieure de l’escalier. Aux instants de lucidité, il avait sans doute essayé de sortir. Parmi les volontaires il y avait des médecins. L’organisme robuste de l’Africain, réconforté par de puissants remèdes, triompha de la contusion. Mven Mas se leva, tremblant et titubant, soutenu des deux côtés.

— Ren Boz?

Les gens qui l’entouraient se rembrunirent. Le directeur de l’observatoire répondit d’une voix rauque:

— Ren Boz est horriblement mutilé. Je le crois perdu. — ’ Où est-il?

— Sur le versant oriental de la montagne. Il a dû être projeté hors de son installation. Au sommet, il ne reste plus rien… Les ruines mêmes sont rasées!

— Et Ren Boz est toujours là-bas?

— On ne peut pas le transporter. Il a les membres fracturés, les côtes et le ventre défoncés.

— Gomment?

— Le ventre est ouvert…

Les jambes fléchissantes, Mven Mas se cramponna convulsivement aux épaules de ceux qui le soutenaient. Mais il avait recouvré sa volonté et sa raison,

— Il faut sauver Ren Boz à tout prix! C’est un grand savant…

— Nous ne l’ignorons pas. Cinq médecins s’occupent de lui. On a construit au-dessus du patient une tente stérile pour l’intervention chirurgicale. Deux volontaires donnent leur sang. Le tïratron, le cœur et le foie artificiels fonctionnent déjà.

— Alors, conduisez-moi au bureau radiophonique. Mettez-vous en contact avec le réseau mondial et appelez le centre d’information de la zone Nord. Que devient le satellite 57?

— On l’a appelé. Pas de réponse.

— Les télescopes sont intacts?

— Oui.

— Repérez le satellite au télescope et examinez-le à l’inverseur électronique avec grossissement maximum…

L’homme de service du centre Nord d’information vit sur l’écran un visage ensanglanté, aux yeux hagards. Il eut du mal à reconnaître le directeur des stations externes, personnalité connue de toute la planète.

— Je veux parler à Grom Orm, président du Conseil d’Astronautique, et à la doctoresse Evda Nal.

L’homme fit un signe de tête et mania les boutons et les verniers de la machine mnémotechnique. La réponse vint au bout d’une minute.

— Grom Orm se documente, il passe la nuit au foyer du Conseil. Faut-il l’appeler?

— Oui. Et Evda Nal aussi.

— Elle est à l’école 410, en Irlande. Je vais essayer de l’avoir…

L’employé consulta le schéma au bureau radiophonique

— C’est indispensable! Il y va de la vie d’un grand savant!

L’homme détacha les yeux de ses schémas.

— Un accident?

— Un accident terrible!

— Je passe le poste à mon adjoint et je suis à vous. Attendez!

Mven Mas se laissa tomber dans le fauteuil qu’on lui avait avancé, et fit un effort pour recueillir ses idées et sa volonté. Le directeur de l’observatoire se précipita dans la pièce.

— On vient de fixer la position du satellite 57. Il n’existe plus!

Mven Mas se leva, comme s’il n’avait pas reçu de lésions. L’autre poursuivit son rapport accablant:

— Il reste un débris de l’avant — le port d’attache des vaisseaux stellaires — qui suit toujours l’ancienne orbite. Je suppose qu’il y a aussi de menus fragments, mais on ne les a pas encore découverts…

— Les observateurs…

— Ont certainement péri!

Mven Mas s’assit, les poings serrés. Il y eut un pénible silence. Puis l’écran se ralluma.

— Grom Orm est à l’écoute, au siège du Conseil, dit l’homme de service et il tourna la manette. Sur l’écran qui reflétait une vaste salle faiblement éclairée, apparut le masque expressif du président: visage en lame de couteau, nez busqué, regard sceptique des yeux enfoncés dans les orbites, pli interrogatif des lèvres pincées… Sous son regard, Mven Mas baissa la tête comme un gamin pris en faute.

— Le satellite 57 a péri! avoua-t-il sans préambules, avec la sensation de plonger dans une eau noire. Grom Orm tressaillit, son visage devint encore plus aigu.

— Comment cela se fait il?

Mven Mas raconta l’histoire en termes brefs et précis, sans dissimuler que l’expérience était interdite et sans se ménager. Le président du Conseil avait froncé les sourcils, de longues rides s’étaient creusées autour de sa bouche, mais ses yeux demeuraient calmes.

— Attendez, je vais faire secourir Ren Boz. Croyez-vous qu’Af Nout…

— Ah, si c’était lui!

L’écran ternit. L’attente parut interminable. Mven Mas se maîtrisait dans un effort suprême. Allons, encore une petite minute…, revoilà Grom Orm.

— J’ai trouvé Af Nout et lui ai envoyé un planétonef. Il lui faut au moins une heure pour préparer le matériel et prévenir ses assistants. Af Nout sera chez vous dans deux heures.

Assurez le transport d’une charge lourde. Au fait, votre expérience a-t-elle réussi?

La question prit l’Africain au dépourvu. Il avait certainement vu Epsilon du Toucan. Mais était-ce le contact réel de ce monde infiniment lointain? Ou bien l’action funeste de l’expérience sur l’organisme et le désir ardent de voir avaient-ils produit une hallucination? Pouvait-il annoncer au monde entier que l’expérience avait réussi et qu’il fallait de nouveaux efforts, de nouveaux sacrifices pour la répéter? Que la méthode de Ren Boz valait mieux que celles de ses prédécesseurs? De crainte d’exposer les autres, ils avaient tenté l’expérience à eux deux, les insensés! Qu’avait vu Ren, que pouvait-il raconter?… A supposer qu’il soit en état de parler et qu’il ait vu quelque chose…