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Les deux femmes s’étendirent sur le sol doux et oscillant d’une conque, en respirant le parfum tonifiant de la mer.

— Comme vous voilà brunie depuis que nous nous sommes vues sur la plage! dit Véda en examinant sa compagne. Vous avez donc été au bord de la mer ou vous avez pris des pilules de pigmentation?

— Ce sont les pilules, avoua Evda. Je n’ai été au soleil qu’hier et aujourd’hui. Je n’ai pas l’épiderme splendide de Tchara Nandi.

— Vous ne savez vraiment pas où est Ren Boz? poursuivit Véda.

— Je m’en doute, et cela suffit à me donner de l’inquiétude! répondit Evda Nal à voix basse.

— Vous voudriez?… Véda se tut sans avoir achevé sa pensée. Evda releva ses paupières et regarda l’autre dans les yeux.

— Ren Boz m’a l’air d’un… d’un gamin faible et naïf, répliqua Véda, hésitante. Tandis que vous, vous êtes d’un seul tenant, aussi forte d’esprit que le plus sage des hommes… On sent toujours en vous une volonté de fer…

— C’est ce que Ren Boz m’a dit. Mais votre opinion à son sujet est erronée, aussi unilatérale que Ren lui-même. C’est un esprit audacieux et puissant, d’une capacité de travail extraordinaire. Même à notre époque, on trouverait difficilement sur la Terre des hommes qui le vaillent. En comparaison de ses aptitudes, ses autres qualités semblent peu développées parce qu’elles sont comme chez la moyenne des gens, sinon plus infantiles. Oui, c’est un gamin, mais c’est aussi un héros dans toute l’acception du mot… Dar Vétér non plus n’est pas exempt de gaminerie, mais cela lui vient d’un plein de force physique, contrairement à Ren Boz qui en manque.

— Et que pensez-vous de Mven? s’enquit Véda. Vous le connaissez mieux maintenant?

— Mven Mas est une belle combinaison d’esprit froid et de passion archaïque. Très intelligent, très instruit, il est cependant un adorateur des forces de la nature!

Véda Kong éclata de rire.

— Ah, si je pouvais être aussi perspicace!

— Je suis psychologue de métier, répliqua Evda en haussant les épaules. Mais permettez-moi de vous poser une question à mon tour: savez-yous que Dar Véter me plaît beaucoup?

— Vous redoutez les compromis? fit Véda, empourprée. Rassurezvous, il n’y a là ni équivoques ni réticences, tout est clair comme le jour…

Et la jeune femme continua, sous le regard scrutateur du psychiatre:

— Erg Noor… nos chemins divergent depuis longtemps. Mais je ne pouvais céder à un nouvel amour tant qu’il était dans le Cosmos, je ne pouvais m’éloigner de lui, de crainte d’affaiblir l’espoir, la foi dans son retour. A présent, c’est redevenu une certitude. Erg Noor sait tout, mais il poursuit son chemin…

Evda Nal entoura de son bras mince les épaules droites de Véda.

— Alors, c’est Dar Véter?

— Oui! répondit Véda d’un ton ferme.

— Le sait-il?

— Non. Il le saura plus tard, quand la Tantra sera revenue… N’est-il pas temps de rentrer au stade? s’écria Véda.

— II faut que je parte, dit Evda Nal. Mes vacances touchent à leur fin. J’ai un grand travail qui m’attend à l’Académie des Peines et des Joies, et je tiens à revoir ma fille auparavant…

— Quel âge a-t-elle?

— Dix-sept ans. Mon fils est bien plus âgé. J’ai rempli le devoir de toute femme saine, à l’hérédité normale: deux enfants au minimum. Et maintenant j’en voudrais un troisième, mais tout fait!

Un tendre sourire éclaira le visage sérieux de la doctoresse et entrouvrit ses lèvres sinueuses.

— J’imagine un beau gosse aux grands yeux… à la bouche caressante et étonnée comme la vôtre… mais avec des taches de rousseur et un nez retroussé, dit malicieusement Véda en regardant droit devant elle. Son amie demanda après un silence:

— Vous n’avez pas encore de nouvelle tâche?

— Non, j’attends la Tantra, Puis il y aura une longue expédition.

— Venez donc voir ma fille, proposa Evda et l’autre consentit volontiers.

Tout un mur de l’observatoire était occupé par un écran hémisphérique de sept mètres de diamètre, pour la projection de films pris à l’aide de télescopes puissants. Mven Mas brancha un cliché d’ensemble d’un secteur du ciel proche du pôle Nord de la Galaxie, bande méridienne de constellations, depuis la Grande Ourse jusqu’au Corbeau et au Centaure. Là, dans les Lévriers, la Chevelure de Bérénice et la Vierge, il existait de nombreuses galaxies, amas discoïdes d’étoiles. On en avait découvert surtout dans la Chevelure de Bérénice, isolés, réguliers et irréguliers, en toutes positions, parfois très lointains, situés à des milliards de parsecs, quelques-uns formant des «nuages» de dizaines de milliers de galaxies. Les plus vastes atteignaient de 20 à 50 mille parsecs de diamètre, comme notre amas d’étoiles ou la galaxie NN 89105 + SB 23, qu’on appelait jadis M-31 ou Nébuleuse d’Andromède. On la voyait de la Terre à l’œil nu sous l’aspect d’un petit nuage dégageant une faible clarté. Les hommes avaient percé depuis longtemps son mystère. C’était un système stellaire en forme de roue, dont les dimensions dépassaient de moitié celles de notre immense Galaxie. L’étude de la Nébuleuse d’Andromède, malgré la distance de 450 mille parsecs qui la séparait des observateurs terrestres, avait largement étendu la connaissance de notre propre Galaxie.

Mven Mas se rappelait avoir vu dans son enfance de magnifiques clichés de galaxies, obtenus par inversion électronique des images ou au moyen de radiotélescopes puissants qui pénétraient encore plus loin dans les profondeurs du Cosmos, tels que les télescopes du Pamir et de Patagonie, dont chacun mesurait 400 kilomètres de diamètre. Les galaxies, amas de centaines de milliards d’étoiles situés à des millions de parsecs les uns des autres, avaient toujours éveillé en lui le désir ardent de connaître les lois de leur structure, l’histoire de leur formation et leurs destinées. Et il s’intéressait particulièrement à la question qui préoccupait tout habitant de notre globe: la vie sur les innombrables systèmes planétaires de ces îles de l’Univers, les flammes de pensée et de savoir qui y brûlaient, les civilisations humaines dans les espaces infiniment lointains de l’Univers…

Trois étoiles, nommées autrefois Sîrrhah, Mirrhah et Almah par les Arabes — alpha, bêta et gamma d’Andromède — disposées en ligne droite ascendante, apparurent sur l’écran. De part et d’autre de cette ligne, se trouvaient deux galaxies voisines: la Nébuleuse d’Andromède et la belle spirale M-33 dans la constellation du Triangle… Mven Mas changea la pellicule.

Voici, dans la constellation des Lévriers, une galaxie connue dès l’antiquité, et qu’on appelait alors NGK 5194 ou M-51. Située à 800 mille parsecs, c’est l’une des rares galaxies qui se présente à nos yeux perpendiculairement au plan de la «roue». Un noyau dense et brillant, composé de milliards d’étoiles, d’où partent deux bras en spirale, aussi denses à leur base. Leurs longues extrémités deviennent toujours plus ternes et plus floues et finissent par disparaître dans la nuit cosmique, allongées dans des sens opposés, sur des dizaines de milliers de parsecs. Entre ces branches principales, s’étendent de courtes traînées lumineuses, amas d’étoiles et nuages de gaz phosphorescent, incurvées comme les ailettes d’une turbine et alternant avec des paquets de matière opaque.