Les trois interpellés demeurent bouche bée, incapables de répondre. Il n'était donc pas mort! Il vivait là! Comment peut-on vivre ici? Ils ne savent par quelle question commencer…

— Bienvenue dans notre petite communauté.

— Où sommes-nous?

— Vous êtes ici dans un temple protestant construit par Jean Androuet Du Cerceau au début du XVIIe siècle. Androuet s'est rendu célèbre en construisant l'hôtel Sully de la rue Saint-Antoine à Paris, mais je trouve que ce temple souterrain est son chef-d'œuvre. Des kilomètres de tunnels en pierre de taille. Vous avez vu, sur tout le trajet on trouve de l'air. Il a dû ménager des cheminées, ou bien il a su utiliser les poches d'air des galeries naturelles. On n'est même pas capable de comprendre comment il s'y est pris. Et ce n'est pas tout, il n'y a pas que de l'air il y a aussi de l'eau. Vous avez sûrement remarqué les ruisseaux qui traversent certaines portions du tunnel. Regardez, il y en a un qui débouche ici.

Il montre l'origine du gazouillis permanent, une fontaine sculptée placée derrière l'orgue.

— Beaucoup de gens, au fil des âges, se sont retirés ici pour trouver la paix et la sérénité

d'entreprendre des choses qui demandaient, disons… beaucoup d'attention. Mon oncle

Edmond avait découvert dans un vieux grimoire l'existence de cette tanière et c'est là qu'il travaillait.

Jonathan s'approche encore; une douceur et une décontraction peu communes émanent de sa personne. Augusta en est sidérée.

— Mais vous devez être exténués. Suivez-moi.

Il pousse la porte par où il est apparu peu avant et les entraîne dans une pièce où plusieurs divans sont disposés en cercle.

— Lucie, hèle-t-il, nous avons des visiteurs!

— Lucie? Elle est avec toi? s'exclame avec bonheur Augusta.

— Hum, combien êtes-vous ici? demande Daniel.

— Nous étions jusqu'alors dix-huit: Lucie,

Nicolas, les huit pompiers, l'inspecteur, les cinq gendarmes, le commissaire et moi.

Bref, tous les gens qui se sont donné la peine de descendre. Vous allez les voir bientôt.

Excusez-nous, mais pour notre communauté il est actuellement 4 heures du matin, et tout le monde dort. Il n'y a que moi qui ai été réveillé par votre arrivée. Qu'est-ce que vous avez fait comme boucan dans les couloirs, dites donc…

Lucie apparaît, elle aussi en peignoir.

— Bonjour!

Elle s'avance, souriante, et les embrasse tous les trois. Derrière elle, des silhouettes en pyjama passent la tête par l'embrasure d'une porte pour voir les «nouveaux arrivants». Jonathan apporte une grande carafe d'eau de la fontaine et des verres.

— Nous allons vous laisser un moment, pour nous habiller et nous préparer. Nous

accueillons tous les nouveaux avec une petite fête, mais là on ne savait pas que vous débarqueriez en pleine nuit… A tout de suite!

Augusta, Jason et Daniel ne bougent pas.

Toute cette histoire est tellement énorme.

Daniel se pince soudain l'avant-bras.

Augusta et Jason trouvent l'idée excellente et font de même. Mais non, la réalité va parfois bien plus loin que le rêve. Ils se regardent, délicieusement déroutés, et se sourient.

Quelques minutes plus tard, tous sont réunis, assis sur les divans. Augusta, Jason et Daniel ont repris leurs esprits et sont à présent avides d'informations.

— Vous parliez tout à l'heure de cheminées, sommes-nous loin de la surface?

— Non, trois ou quatre mètres au maximum.

— Alors on peut ressortir à l'air libre?

— Non, non. Jean Androuet Du Cerceau a situé et construit son temple juste en dessous d'un immense rocher plat d'une solidité à toute épreuve — du granit!

— Il est pourtant percé d'un trou de la taille d'un bras, complète Lucie. Cet orifice servait là encore de cheminée de ventilation.

— Servait?

— Oui, maintenant ce passage est consacré à un autre usage. Ce n'est pas grave, il y a d'autres cheminées de ventilation latérales. Vous voyez bien, on n'étouffe pas ici…

— On ne peut pas sortir?

— Non. Ou en tout cas pas par là-haut. Jason semble vivement préoccupé.

— Mais Jonathan, pourquoi alors as-tu construit ce mur pivotant, cette nasse, ce plancher qui se dérobe, ce filet?… Nous sommes totalement bloqués ici!

— C'est précisément l'effet voulu. Cela m'a demandé beaucoup de moyens et d'efforts. Mais c'était nécessaire. Quand je suis arrivé la première fois dans ce temple, je suis tombé sur le lutrin. Outre l'Encyclopédie du savoir relatif et absolu, j'y ai trouvé une lettre de mon oncle qui m'était personnellement adressée. La voici. Ils lisent:

Mon cher Jonathan,

Tu t'es décidé à descendre malgré mon avertissement. Tu es donc plus courageux que je ne le pensais. Bravo. Il y avait selon moi une chance sur cinq pour que tu réussisses. Ta mère m'avait parlé de ta phobie du noir. Si tu es ici c'est que tu es arrivé, entre autres, à surmonter ce handicap et que ta volonté s'est aiguisée. Nous en aurons besoin. Tu vas trouver dans cette chemise l'Encyclopédie du savoir relatif et absolu qui, au jour où j'écris ces mots, forme 288 chapitres parlant de mes travaux. Je souhaite que tu les poursuives, ils en valent la peine.

L'essentiel de ces recherches porte sur la civilisation fourmi. Enfin tu liras et tu comprendras. Mais dans un premier temps j'ai une requête très importante à te formuler. Au moment où tu es parvenu ici, je n'ai pas eu le temps de mettre en place les protections (si j'y étais arrivé tu n'aurais pas trouvé cette lettre ainsi rédigée) de mon secret.

Je te demande de les construire. J'ai commencé à esquisser quelques croquis, mais je pense que tu pourras améliorer ces suggestions, étant donné tes propres connaissances. L'objectif de ces mécanismes est simple. Il faut que les gens ne puissent pas pénétrer facilement jusqu'à mon antre, mais que ceux qui y arrivent ne puissent plus jamais faire demi-tour pour raconter ce qu'ils ont trouvé.

J'espère que tu réussiras, et que ce lieu t'apportera autant de «richesses» qu'il m'en a à moi-même fournies. Edmond.

— Jonathan a joué le jeu, expliqua Lucie. Il a construit tous les pièges prévus, et vous avez pu constater qu'ils fonctionnent.

— Et les cadavres? Ce sont des gens qui se sont fait prendre par les rats?

— Non. (Jonathan sourit.) Je vous assure qu'il n'y a eu aucun mort dans ce souterrain depuis qu'Edmond s'y est établi. Les cadavres que vous avez repérés datent d'au moins cinquante ans. On ne sait quels drames se sont déroulés ici à cette époque. Une secte quelconque…

— Mais alors on ne pourra plus jamais remonter? s'inquiéta Jason.

— Jamais.

— Il faudrait atteindre le trou placé au-dessus du filet (à huit mètres de hauteur!), franchir la nasse dans l'autre sens, ce qui est impossible, et nous n'avons aucun matériel capable de la faire fondre, et encore passer le mur (or, Jonathan n'a pas prévu de système d'ouverture de ce côté-ci)…

— Sans parler des rats…

— Comment as-tu fait pour amener des rats là-dessous? demanda Daniel.

— C'est une idée d'Edmond. Il avait installé un couple de rattus norvegicus spécialement gros et agressifs dans une anfractuosité de la roche, avec une grande réserve de nourriture. Il savait que c'était une bombe à retardement. Les rats lorsqu'ils sont bien nourris se reproduisent à une vitesse exponentielle. Six petits tous les mois, qui sont eux-mêmes prêts à procréer au bout de deux semaines… Pour s'en protéger, il utilisait un spray de phéromone d'agression insupportable pour ces rongeurs.

— Alors ce sont eux qui ont tué Ouarzazate? demanda Augusta.

— Malheureusement, oui. Et Jonathan n'avait pas prévu que les rats qui passeraient de l'autre côté du «mur de la pyramide» deviendraient encore plus féroces

— L'un de nos copains, qui avait déjà la phobie des rats, a complètement disjoncté quand l'un de ces gros bestiaux lui a sauté au visage et lui a mangé un morceau de nez. Il est tout de suite remonté, le mur de la pyramide n'a même pas eu le temps de retomber. Vous avez de ses nouvelles en surface? questionna un gendarme.