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– Allons, Margot, dit-il en lui jetant les deux poulets, apprête-nous cette carpe et cette perche; c’est un très bon manger maigre.

Mais, malgré leur baptême, Marguerite se refusait encore à les regarder comme un manger de chrétiens. Il fallut que les bandits la menaçassent de mauvais traitements pour qu’elle pût se décider à mettre à la broche ces poissons improvisés.

Cependant Bois-Dauphin et ses compagnons buvaient largement; ils portaient des santés et menaient grand bruit.

– Écoutez! cria Bois-Dauphin en frappant un grand coup de poing sur la table pour obtenir du silence, je propose de boire à la santé de notre saint-père le pape, et à la mort de tous les huguenots; et il faut que nos deux frocards et dame Margot boivent avec nous.

La proposition fut accueillie par acclamation de ses trois camarades.

Il se leva en chancelant un peu, car il était déjà plus qu’à moitié ivre, et, avec une bouteille qu’il avait à la main, il emplit le verre du jeune moine.

– Allons, bon père, dit-il, à la sainteté de sa santé!… Je me trompe. À la santé de Sa Sainteté! et à la mort…

– Je ne bois jamais entre mes repas, répondit froidement le jeune homme.

– Oh! parbleu! vous boirez, ou le diable m’emporte si vous ne dites pourquoi!

À ces mots, il posa la bouteille sur la table, et, prenant le verre, il l’approcha des lèvres du moine, qui se penchait sur son bréviaire, avec un grand calme en apparence. Quelques gouttes de vin tombèrent sur le livre. Aussitôt le moine se leva, saisit le verre; mais, au lieu de le boire, il en jeta le contenu au visage de Bois-Dauphin. Tout le monde se prit à rire. Le frère, adossé contre la muraille et les bras croisés, regardait fixement le scélérat.

– Savez-vous bien, mon petit père, que cette plaisanterie-là ne me plaît point? Jour de Dieu, si vous n’étiez pas un frocard, pour tout potage, je vous apprendrais bien à connaître votre monde.

En parlant ainsi, il étendit la main jusqu’à la figure du jeune homme, et de l’extrémité de ses doigts il effleura sa moustache.

La figure du moine devint d’un pourpre éclatant. D’une main il prit au collet l’insolent bandit, et de l’autre, s’armant de la bouteille, il la lui cassa sur la tête si violemment, que Bois-Dauphin tomba sans connaissance sur le carreau, inondé à la fois de sang et de vin.

– À merveille, mon brave! s’écria le vieux moine, et pour un calotin [65] vous faites rage.

– Bois-Dauphin est mort! s’écrièrent les trois brigands, voyant que leur camarade ne remuait pas. Ah! coquin! nous allons vous étriller d’importance.

Ils saisirent leurs épées; mais le jeune moine, avec une agilité surprenante, retroussa les longues manches de sa robe, s’empara de l’épée de Bois-Dauphin, et se mit en garde de la manière du monde la plus résolue. En même temps, son confrère tira de dessous sa robe un poignard dont la lame avait bien dix-huit pouces de long, et se mit à ses côtés d’un air tout aussi martial.

– Ah! canaille! s’écriait-il, nous allons vous apprendre à vivre, et vous montrer votre métier!

En un tour de main, les trois coquins, blessés ou désarmés, furent obligés de sauter par la fenêtre.

– Jésus! Maria! s’écria dame Marguerite, quels champions êtes-vous, mes bons pères! Vous faites honneur à la religion. Avec tout cela, voilà un homme mort, et cela est désagréable pour la réputation de cette auberge.

– Oh! que nenni, il n’est pas mort, dit le vieux moine; je le vois qui grouille [66]; mais je m’en vais lui donner l’extrême-onction.

Et il s’approcha du blessé, qu’il prit par les cheveux, et lui posant son poignard tranchant sur la gorge, il se mettait en devoir de lui couper la tête si dame Marguerite et son compagnon ne l’eussent retenu.

– Que faites-vous, bon Dieu! disait Marguerite; tuer un homme! et un homme qui passe pour bon catholique encore, quoiqu’il n’en soit rien, comme il paraît assez!

– Je suppose, dit le jeune moine à son confrère, que des affaires pressantes vous appellent, ainsi que moi, à Beaugency. Voici le bateau. Hâtons-nous.

– Vous avez raison, et je vous suis.

Il essuya son poignard et le remit sous sa robe. Alors, les deux vaillants moines, ayant payé leur écot, s’acheminèrent de compagnie vers la Loire, laissant Bois-Dauphin entre les mains de Marguerite, qui commença par se payer en fouillant dans ses poches; puis elle s’occupa d’ôter les morceaux de verre dont sa figure était hérissée, afin de le panser suivant toutes les règles usitées par les commères en cas semblables.

– Je me trompe fort, ou je vous ai vu quelque part, dit le jeune homme au vieux cordelier.

– Le diable m’emporte si votre figure m’est inconnue! Mais…

– Quand je vous ai vu pour la première fois, il me semble que vous ne portiez pas cette robe.

– Et vous-même?

– Vous êtes le capitaine…

– Dietrich Hornstein, pour vous servir; et vous êtes le jeune gentilhomme avec qui j’ai dîné près d’Étampes.

– Lui-même.

– Vous vous nommez Mergy?

– Oui; mais ce n’est pas mon nom maintenant. Je suis le frère Ambroise.

– Et moi, le frère Antoine d’Alsace.

– Bien. Et vous allez?

– À la Rochelle, si je puis.

– Et moi de même.

– Je suis charmé de vous rencontrer… Mais, diable! vous m’avez furieusement embarrassé avec votre bénédicité. C’est que je n’en savais pas un mot; et moi, je vous prenais d’abord pour un moine, s’il en fut.

– Je vous en présente autant.

– D’où vous êtes-vous échappé?

– De Paris. Et vous?

– D’Orléans. J’ai été contraint de me cacher pendant plus de huit jours. Mes pauvres reîtres… mon cornette… sont dans la Loire.

– Et Mila?

– Elle s’est faite catholique.

– Et mon cheval, capitaine?

– Ah! votre cheval? J’ai fait passer par les verges le coquin de trompette qui vous l’avait dérobé… Mais, ne sachant où vous demeuriez, je n’ai pu vous le faire rendre… Et je le gardais en attendant l’honneur de vous rencontrer. Maintenant il appartient sans doute à quelque coquin de papiste.

– Chut! ne prononcez pas ce mot si haut. Allons, capitaine, unissons nos fortunes, et entr’aidons-nous comme nous venons de faire tout à l’heure.

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[65] Ecclésiastique, prêtre.

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[66] Bouger, remuer.