– Le divertissement de cette nuit! se disait Mergy. Il paraît que tout le monde, excepté moi, est dans la confidence. Au reste, peu m’importe; le roi peut s’amuser sans moi, et je suis peu curieux de voir son divertissement.
Un peu plus loin il remarqua un homme mal vêtu qui s’arrêtait devant quelques maisons et qui marquait les portes en faisant une croix blanche avec de la craie.
– Bonhomme, êtes-vous donc un fourrier pour marquer ainsi les logements?
L’inconnu disparut sans répondre.
Au détour d’une rue, comme il entrait dans celle qu’habitait la comtesse, il faillit heurter un homme enveloppé, comme lui, d’un grand manteau, et qui tournait le même coin de rue, mais en sens contraire. Malgré l’obscurité et le soin que tous deux semblaient mettre à se cacher l’un à l’autre, ils se reconnurent aussitôt.
– Ah! bonsoir, monsieur de Béville, dit Mergy en lui tendant la main.
Pour lui donner la main droite, Béville fit un mouvement singulier sous son manteau: il passa de la main droite à la main gauche quelque chose d’assez lourd qu’il portait. Le manteau s’entr’ouvrit un peu.
– Salut au vaillant champion chéri des belles! s’écria Béville. Je parierais que mon noble ami s’en va de ce pas en bonne fortune.
– Et vous-même, Monsieur?… Il paraît que les maris sont d’humeur fâcheuse de votre côté: car je me trompe fort, ou ce que je vois sur vos épaules, c’est une cotte de mailles, et ce que vous tenez là sous votre manteau, cela ressemble furieusement à des pistolets.
– Il faut être prudent, monsieur Bernard, très prudent, dit Béville.
En prononçant ces mots, il arrangeait son manteau de manière à cacher soigneusement les armes qu’il portait.
– Je regrette infiniment de ne pouvoir vous offrir ce soir mes services et mon épée pour garder la rue et faire sentinelle à la porte de votre maîtresse. Cela m’est impossible aujourd’hui, mais en toute occasion veuillez disposer de moi.
– Ce soir vous ne pouvez venir avec moi, monsieur de Mergy.
Il accompagna ce peu de mots d’un sourire étrange.
– Allons, bonne chance! Adieu.
– Je vous souhaite aussi bonne chance!
Il y avait une certaine emphase dans sa manière de prononcer cet adieu.
Ils se quittèrent, et Mergy avait déjà fait quelques pas quand il s’entendit rappeler par Béville. Il se retourna et le vit qui revenait à lui.
– Votre frère est-il à Paris?
– Non; mais je l’attends tous les jours. Ah! dites-moi, êtes-vous du divertissement de cette nuit?
– Du divertissement?
– Oui; on dit partout qu’il y aura ce soir un grand divertissement à la cour.
Béville murmura tout bas quelques mots entre ses dents.
– Adieu encore une fois, dit Mergy. Je suis un peu pressé, et… Vous savez ce que je veux dire?
– Écoutez, écoutez! encore un mot. Je ne puis vous laisser aller sans vous donner un conseil en véritable ami.
– Quel conseil?
– N’allez pas chez elle ce soir. Croyez-moi, vous me remercierez demain.
– C’est là votre conseil? Mais je ne vous comprends pas. Qui, elle?
– Bah! nous nous entendons. Mais, si vous êtes sage, passez la Seine ce soir même.
– Est-ce une plaisanterie qui tient au bout de tout cela!
– Point. Je n’ai jamais parlé plus sérieusement. Passez la Seine, vous dis-je. Si le diable vous presse trop, allez-vous-en auprès du couvent des Jacobins, dans la rue Saint-Jacques. À deux portes des bons pères, vous verrez un grand crucifix de bois, cloué contre une maison d’assez chétive apparence. C’est une drôle d’enseigne: n’importe! Vous frapperez, et vous trouverez une vieille fort accorte qui vous recevra bien à ma considération… Allez passer votre fureur de l’autre côté de la Seine. La mère Brûlard a des nièces gentilles et polies… M’entendez-vous?
– Vous êtes trop bon. Je vous baise les mains.
– Non; suivez l’avis que je vous donne. Foi de gentilhomme! vous vous en trouverez bien.
– Grand merci, j’en profiterai une autre fois. Aujourd’hui je suis attendu; et Mergy fit un pas en avant.
– Passez la Seine, mon brave; c’est mon dernier mot. S’il vous arrive malheur pour n’avoir pas voulu m’écouter, je m’en lave les mains.
Il y avait dans le ton de Béville un sérieux inaccoutumé qui frappa Mergy. Béville avait déjà tourné le dos, ce fut Mergy qui le retint cette fois.
– Que diable voulez-vous dire? expliquez-vous, monsieur de Béville, et ne me parlez plus par énigmes.
– Mon cher, je ne devrais pas peut-être vous parler si clairement; mais passez l’eau avant qu’il soit minuit: et adieu.
– Mais…
Béville était déjà loin. Mergy le suivit un instant; mais bientôt, honteux de perdre un temps qui pouvait être mieux employé, il revint sur ses pas et s’approcha du jardin où il devait entrer. Il fut obligé de se promener quelque temps de long en large en attendant que plusieurs passants se fussent éloignés. Il craignait qu’ils ne fussent un peu surpris de le voir entrer à cette heure par une porte de jardin. La nuit était belle, un doux zéphyr avait tempéré la chaleur; la lune paraissait et disparaissait au milieu de légers nuages blancs. C’était une nuit faite pour l’amour.
La rue fut déserte pendant un instant: il ouvrit aussitôt la porte du jardin et la referma sans bruit. Son cœur battait avec force, mais il ne pensait qu’aux plaisirs qui l’attendaient chez sa Diane; et les idées sinistres que les étranges propos de Béville avaient fait naître dans son esprit en étaient maintenant bien éloignées.
Il s’approcha de la maison sur la pointe du pied. Une lampe derrière un rideau rouge brillait à une fenêtre entr’ouverte: c’était le signal convenu. Dans un clin d’œil il fut dans l’oratoire de sa maîtresse.
Elle était à moitié couchée sur un lit de repos fort bas et recouvert en damas bleu foncé. Ses longs cheveux noirs en désordre couvraient tout le coussin sur lequel sa tête était appuyée. Ses yeux étaient fermés, et elle semblait faire effort pour les tenir ainsi. Une seule lampe d’argent suspendue au plafond éclairait l’appartement et projetait toute sa lumière sur la figure pâle et les lèvres de feu de Diane de Turgis. Elle ne dormait pas; mais, à la voir, on eût dit qu’elle était tourmentée d’un cauchemar pénible. Au premier craquement des bottes de Mergy sur le tapis de l’oratoire, elle leva la tête, ouvrit les yeux et la bouche, tressaillit, et avec peine étouffa un cri d’effroi.