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Il avait souri, impénétrablement.

– Nous ne sommes encore qu'une poignée mais nous allons nous étendre, nous aussi, comme un virus. Un anti-virus, en fait, contre le retour de la barbarie et du totalitarisme, vous voyez, ici, déjà, puis, sans doute, un peu partout dans le monde…

– Vous êtes complètement fous, avait-elle jeté en éclatant de rire. La rhapsodie de son rire flûté avait eu raison de tout et il avait éclaté de rire à son tour.

– Oui, avait-il admis, nous sommes de véritables cinglés. Nous pensons que la liberté et le mensonge sont des virus rivaux, nous croyons que la littérature, la biologie et l'astrophysique sont des armes de pointe dirigées contre l'anti-pensée, contre le délire totalitaire, quel qu'il soit, quelle que soit sa couleur, brune, ou rouge si vous voyez ce que je veux dire.

– Bon dieu, vous êtes'encore plus atteints que je ne le pensais…

Et ils avaient éclaté de rire à nouveau.

Ce soir-là, il avait senti qu'il aurait sans doute pu faire l'amour avec cette fille mais quelque chose d'indiciblement obscur et caché l'en avait empêché, au dernier moment.

L'avant-veille encore son unité avait libéré un village musulman occupé depuis des mois et les images du massacre qui avait précédé la retraite des nationalistes serbes tournoyaient encore dans son esprit. Le récit des viols collectifs hantait sa mémoire et le sexe, il le savait, demanderait sans doute encore quelques jours de sas avant de pouvoir s'épancher sans pensées négatives, cauchemardesques.

La fille et lui s'étaient quittés au petit matin, après qu'il eut brûlé son smoking sur la plage, comme prévu.

Hugo se rendit compte que sa rêverie l'avait momentanément extrait de la réalité du café l'Atlantique, où il venait d'offrir une tournée générale après avoir récolté la même réponse qu'au bar précédent. Qu'est-ce que les journalistes voulaient àTravis? C'était au sujet du Grec? On ne savait rien.

Le barman semblait rompu aux règles de la langue de Shakespeare. De nombreux touristes devaient s'arrêter ici, pendant l'été.

Hugo offrit une seconde tournée.

– Je m'intéresse au bateau en fait, reprit-il en anglais. Plus qu'à l'histoire de drogue elle-même, corrigea-t-il, dans ce sens là, cette fois-ci.

– Le bateau?

– Oui, la Manta, le bateau qu'il fabriquait avec ce Grec…

– C'est exactement ce que m'a dit le type qui est venu tout à l'heure, incroyable, vous vous êtes passé le mot ou quoi?

– Quel mec, un autre journaliste?

– Oui, pour un journal de voile néerlandais.

– Tiens mais ce serait pas mon collègue Rijkens, par hasard, vous pourriez me le décrire? Tenter le coup, de toute façon.

– Oh… Un type assez grand, athlétique, un bon mètre quatre-vingts. Une quarantaine d'années, brun, yeux clairs.

Parfait.

– Il vous a dit comment il s'appelait? C'était pas Rijkens?

Il y avait une petite chance pour que le type se soit servi de son vrai nom.

– Non, il ne nous a pas dit son nom, juste qu'il travaillait pour un magazine nautique hollandais.

– Ah, ça correspond pas à la description de toute façon… Bon et qu'est-ce que vous lui avez dit alors à mon concurrent d'Amsterdam?

– La même chose qu'à vous, qu'on savait rien…

Ça semblait plus difficile à négocier ici qu'au bar précédent.

– Bon je remets une troisième tournée, je présume?

Et il avait aplati les dollars sur le comptoir.

– La seule chose qu'on sait, c'est que Travis y venait quelque fois avec le Grec, reprit alors le barman, doué comme par enchantement d'une mémoire soudaine. Ils se mettaient là-bas et y buvaient un coup, ensuite y partaient on ne sait où… Mais le Grec il habitait ici alors y z'allaient p'têt chez lui…

Ouais, ça ne menait pas très loin, ça.

Il regarda fixement le gros bonhomme moustachu. L'invitant calmement à assurer le coup. Sa main restait collée au petit paquet de billets verts.

– Ah, et à vot' collègue on lui a dit aussi que Travis y rencontrait un type de Tavira, ici, qui travaillait pour une société de construction de navires…

Oh merde pensa Hugo, le tuyau d'Anita.

Il jeta ses yeux au plus profond de ceux du barman et acheva sa sixième bière de l'après-midi.

Il alla évacuer dans les chiottes de l'arrière-cour, vraiment saoul, et paya une ultime tournée de remerciement avant de s'éjecter au-dehors et de marcher jusqu'à la voiture en prenant l'air sur les quais.

Un quart d'heure plus tard, vaguement dessaoulé, il chercha la poste, qu'il trouva par miracle, dans un brouillard cotonneux, comme si un violent coup de pompe se profilait à l'horizon.

Il appela Anita, à la maison d'Ayamonte. Selon le code convenu. Trois sonneries. Puis une deuxième salve. Elle devrait alors répondre à la quatrième, pour prévenir que tout allait bien. Sans quoi, il devait rappliquer au plus vite avec la Steyr-Aug et le riot -gun prêts à l' emploi.

Elle décrocha à la quatrième.

C'était à elle de s'annoncer, illico.

– Anita, j'écoute.

Ça, ça voulait dire une nouvelle fois que tout allait bien. Si elle employait son nom. Van Dyke, cela signifierait qu'il y avait un problème.

Il pouvait parler sans crainte.

– C'est moi, Hugo. Y a un petit problème…

– Quel genre?

– Le squad est sur la piste de Tavira. Un type cherhe ici, lui aussi. C'est drôle, parce qu'il utilise la même couverture que moi, ou presque. Bon faut prévenir votre témoin là-bas. Qu'il ne parle à personne d'autre que moi, d'accord? Vous êtes arrivée à le joindre, au fait?

– Oui. dès votre départ, je l'ai appelé, il ne m'a parlé d'aucune visite…

– Oui c'est normal, j'ai l'impression que le type a à peine une heure d'avance sur moi. Il consulta sa montre, fébrilement… J'ai perdu un peu de temps. Appelez vite votre témoin. Je me présenterai comme M. Zukor, d'accord? Qu'il ne dise rien à personne d'autre, O.K.? Je vous rappelle dans… dix minutes, au maximum.

Et il raccrocha, aussi sec. Il sortit à l'extérieur et alla se balader vers les jardins qui bordaient le fleuve et d'où l'on apercevait les maisons blanches d'Ayamonte.

Il revint cinq minutes plus tard et recomposa le numéro de la maison.

Même système.

– Anita, j'écoute.

– Hugo… Alors?

– Un type est passé…

– Merde.

– Non… Joachim ne lui a rien dit. Il me l'a affirmé. L'homme s'est présenté comme un journaliste désireux de faire un reportage sur certains bateaux originaux du coin mais Pinto lui a dit ne rien savoir sur la Manta et je pense que c'est la vérité. Il a dit à l'homme qu'il connaissait très mal Travis en fait, qu'il l' avait connu il y a longtemps et qu'il l'avait juste conseillé pour quelques détails techniques lors de la conception initiale.

Hugo soupira, de soulagement.

– Description?

– Grand, brun, yeux bleus. Musclé et sûr de lui.

– Bon et ce Pinto, là, y sait quelque chose ou y'n'sait vraiment rien?

– Il m'a dit ne rien savoir… Qu'il en était tojours au même point que lors de ma visite. Il ne sait pas où est Travis. Il n'a aucune idée du lieu où pourrait se trouver un éventuel bateau nommé la Manta. Qu'il aimerait qu'on lui fiche la paix avec tout ça.

– Vous lui avez dit que je passerais?

– Mais je vous ai dit qu'il ne savait rien et que…

Il la coupa, beaucoup trop sèchement.

– Dites-lui que je vais passer, Anita, j'ai besoin d'infonnations et rien ne nous prouve qu'il dit vraiment la vérité.

– O.K…

– Je peux y être dans trois quarts d'heure…

– Oui… D'accord.

– Bon, je vous rappelle après l'interview de Pinto.

– D'accord Hugo. Pennettez-moi juste une chose…

– Quoi?

– Je peux appeler le commissariat central de Faro dans l'après-midi avant votre retour? Si jamais ils trouvent quelque chose dans une capitainerie vous pourrez vous y rendre directement.

Il réalisa que c'était un excellent moyen de gagner du temps.