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Juste avant de partir, il se teignit les cheveux lui aussi, avec le shampooing colorant d'Alice. La toison blanchie par l'eau oxygénée n'était pas des plus discrètes. Même si le portier de l'hôtel, la seule personne qui aurait pu témoigner que M. Berthold Zukor avait les cheveux gris-blanc oxygénés, se trouvait dans l'incapacité de parler, maintenant.

Il décida aussi de ne pas montrer la présence d'Alice tout de suite. Un peu de temps de gagné. Si l'homme de la maison avait mis une heure pour venir, il ne devait pas habiter tout près et ne repasserait sans doute pas avant plusieurs jours. Il la laissa donc dans la voiture planquée derrière un bouquet d'arbres et visita la maison avec Anita, en la présentant comme sa femme. Ils étaient hollandais et passaient des vacances d'une douzaine de jours dans le coin. L'homme consentit à leur louer la maison pour deux semaines.

Il paya avec ce qu'il lui restait de cash espagnol.

Il aurait le temps de tirer du fric sur le compte Zukor dans la journée, à Ayamonte.

Hugo était resté la plupart du temps à la fenêtre, l'œil fixé sur la route et les arbres derrière lesquels scintillait le métal noir de la BMW, Il fit comprendre à l'homme qu'ils étaient pressés, d’une simple vibration, son simple comportement, fermé, froid et précis, envoyant comme un signal

Invisible et inaudible, mais parfaitement sensible.

L'homme leur laissa les clés, leur fit quelques ultimes recommandations pour le gaz et repartit sur sa vieille motocyclette.

Hugo courut chercher la voiture, qu'il gara derrière la maison, empoigna les valises et demanda à Alice de prendre possession des lieux le plus vite possible. Il fallait maintenant passer à un plan d'opérations cohérent et détaillé. Il demanda à Anita et à Alice de s'asseoir avec lui, dans le salon, plongé dans la pénombre, les volets à demi fermés.

Primo, annonça-t-il, Alice ne devrait sortir sous aucun prétexte. Secundo, Anita resterait ici avec elle la plupart du temps sauf pour les coups de fil qu'elle et Hugo passeraient aux flics, de la cabine d'Ayamonte.

Tertio, il lui faisait confiance, lui laisserait son arme et partirait chaque jour glaner des infos sur les docks des ports de l'Algarve. Il pourrait s'àbsenter jusqu'à vingt-quatre heures d'affilée, au maximum. En la joignant ici, toutes les cinq ou six heures. Il devrait sortir un message codé pour annoncer que tout allait bien. Il le trouverait tout à l'heure. Anita raconterait le scénario prévu aux flics de Faro et leur demanderait de pister cette dizaine d'hommes. Étrangers. Sans doute néerlandais, mais peut-être de nationalités différentes. D'autre part elle demanderait qu'un inspecteur vérifie auprès de toutes les capitaineries si un bateau nommé la Manta n'était pas enregistré quelque part.

Il vit la flic réfléchir puis émettre un pâle sourire.

– D'accord sur la trame d'ensemble mais je voudrais apporter quelques rectifications. D'une, je ne vois pas pourquoi on devrait se rendre à la cabine d'Ayamonte alors qu'il y a le téléphone dans la maison…

– Parce que les flics pourraient être tentés de détecter l'appel et que je ne veux prendre aucun risque.

– Est -ce que vous entendez par là que vous ne me faites pas confiance et que vous voulez contrôler ce que je raconterai?

Il hésita une fraction de seconde. Se concentra.

Cette fille n'était pas née de la dernière pluie.

– Si je ne vous faisais pas confiance vous croyez que je vous laisserais toute seule ici, avec votre flingue?

C'était pas mal paré, ça.

– Ça ne veut rien dire… D'autre part je ne vois pas pourquoi je vous laisserais mener seul l'enquête pendant que je passerais le temps ici, à attendre votre retour, comme Pénélope…

– Bon sang… Et qu'est-ce que vous faites d'Alice?

Anita jeta un bref coup d' œil à la fillette, les fesses posées au bord de la banquette, à côté de ce curieux trafiquant d'armes.

– Je dis simplement qu'on pourrait faire ça à tour de rôle… Nous nous ferons repérer moins vite, d'ailleurs…

– Ne me faites pas rigoler, avec votre bras, vous ne risquez pas de pouvoir conduire plus loin que le premier virage…

– Je vais déjà beaucoup mieux… Vous avez parlé de quatre jours. Je vous propose de vous laisser aujourd'hui et demain et que, selon l'état de la blessure je fasse les deux suivants…

Il n'aimait pas tellement le risque qu'il allait prendre. Mais cette fille semblait remarquablement obstinée, dans le genre.

– D'accord, je fais aujourd'hui et demain et mercredi on avisera.

– Parfait, laissa-t-elle tomber, d'une belle voix grave.

– Bon, on va commencer tout de suite, on va descendre pour le premier coup de fil et on fera quelques courses. Ensuite je vous ramène et je file a à Vila Real.

Les yeux de la jeune femme le pointaient d'une intensité électrique.

– Ça, on peut dire que vous êtes têtu, en effet.

Il laissa un rire franc éclater de l'intérieur.

– Oui, lâcha.t-il, et encore je me suis fait extrêmement conciliant ces derniers temps.

L'image des flammes trouant la nuit du corridor et fauchant les ombres vertes qui hurlaient ne pouvait tout à fait quitter sa mémoire.

*

Vondt atteignit les bords de la Serra de Monchique vers sept heures et demie. Il joignit Dorsen à la maison et lui demanda d'appeler le médecin Laas, à la Casa Azul, avec les mots de passe nécessaires. Koesler et Sorvan ne devaient plus être loin. Un peu avant huit heures il entrait dans la grande maison, isolée sur un flanc de la serra, et prenait des nouvelles du Bulgare.

Dorsen, l'homme qu'il avait laissé en réserve sur place, avait appelé la Casa Azul et le médecin ne devrait plus tarder à arriver, maintenant. Le tueur de Sofia gisait sur un divan du salon, la jambe gonflée sous le bandage de fortune, imbibé de sang, qui tachait d'un rouge intense le velours beige.

– Y a aut'chose, lâcha Dorsen.

Vondt lui fit face.

– Qu'est-ce qui y a? Mme K a appelé?

– Non, c'est notre équipe de Marvao, les Portugais. Ils ont téléphoné y a pas dix minutes… Au sujet de notre patrouille de Guarda.

Vondt l'emmena un peu à l'écart, dans le couloir de l'entrée. Il y avait assez de mauvaises nouvelles comme ça. Il voulait contrôler la circulation de l'information.

– Je t'écoute.

– Ben y m'ont dit qu'ils avaient cherché partout, hier, mais qu'y avait trace nulle part de nos gars. Mais y m'ont dit que dans la nuit y z'avaient appris qu'y avait eu une fusillade au nord de Castelo Branco dans l'après-midi. Deux types dans une voiture étrangère, remplis de plomb…

Merde, pensa Vondt, le pire était effectivement arrivé. L'homme de Travis était un tueur patenté.

Dorsen reprenait.

– Quand y m'ont appelé tout à l'heure y'm'ont dit que c'était plus la peine qu'y cherchent. C'est dans les éditions locales du matin. Deux hommes porteurs de faux papiers belges. Abattus. Puis jetés dans leur caisse au fond d'un ravin.

Vondt avala difficilement sa salive. Le tableau qu'il aurait à présenter à Mme Eva serait des plus sombres.

Il fit le bilan et tenta d'adopter un plan de retraite. Sept hommes perdus à l'hôtel. Deux à Castelo Branco. Restaient les Portugais. L'équipe qui surveillait la baraque de Travis à Albufeira. L'équipe de Vila Real de Santo Antonio. Ceux de Badajoz. Les quelques hommes qu'il avait laissés aux frontières, après l'appel des hommes de Guarda, par simple mesure de prudence (il n'avait repatrié vers Monchique que Jampur et Rudolf qui s’occupaient de la N 433, au sud-est de Moura).

La fille était au Portugal maintenant, c'était une certitude absolue. Il était inutile de garder toutes les réserves aux frontières. Il laisserait la maison d’Albufeira sous surveillance et pourrait combler une partie des pertes avec ces six hommes.