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Mais cela ne lui donnait pas la clé. Elle feuilleta le livre et ne trouva rien d'autre. Elle le reposa à sa place. Non, rien… Un faux espoir… Une fausse piste. Il n'y avait aucune lettre, ou message, planquée ailleurs dans les pages.

Elle se planta au centre de la pièce et contempla un instant le spectacle des mesas qui déroulaient leur graphisme volcanique sous la lune, à l'exterieur. La route ressemblait à une piste de cendre radioactive. Elle allait se décider à quitter la pièce lorsque ses yeux se posèrent sur la masse laiteuse du gros ordinateur.

Elle se dirigea d'instinct derrière le bureau. S'assit sur le siège de cuir confortable et spacieux. Alluma d'un coup la machine. Elle saurait se dépatouiller si le Grec utilisait Windows. Le message de bienvenue du logiciel de Microsoft fit son apparition. Version 3.1. Parfait. Elle ouvrit l'icône du disque dur et se retrouva face à un fichier colossal. Des dizaines de logiciels divers et de très nombreux fichiers d'applications. Les icônes symbolisaient des programmes pour la plupart inconnus d'elle. Des programmes de graphisme et de dessin industriel.

Parmi les divers fichiers d'applications elle finit par tomber sur ce qu'elle cherchait, sans trop le savoir. Un dossier nommé MANTA, dont l'icône, en forme de poisson noir et blanc, semblait avoir été conçue par l'utilisateur lui-même.

Elle cliqua et tomba sur une autre page-écran bourrée de fichiers. Des applications en tous sens. Des fichiers de traitement de texte, elle reconnaissait l'icône Word, des batteries de logiciels de graphisme et de CAO…

Manta/Ol, Manta/02, 03, 04… Manta Voilure… Manta/Quille.

Elle cliqua au hasard sur une icône et un logiciel de CAO se chargea.

Quand la page-écran apparut elle comprit tout de suite ce qu'était «Manta».

Un bateau. Les plans d'un bateau, la Manta, un voilier monocoque d'environ seize mètres selon les chffres qu'elle pouvait lire.

C'était donc ça. Le Grec avait pour projet de construire un voilier. Un projet qui resterait en état, à tout jamais, simple catalogue de plans et de structures en mode filaire, octets d'informations virtuels pour toujours.

Ouais… Mais Manta ne lui apprenait rien sur Travis. Pourtant, elle en était sûre, l'Anglais était impliqué d'une manière ou d'une autre dans le projet. La dédicace lui revenait en mémoire. Travis avait offert un livre exclusivement consacré aux raies mantas au Grec. Le livre de nos rêves disait-il. Cela indiquait sans doute le projet de bateau.

Elle quitta l'application de design industriel et se retrouva devant la page-écran du fichier Manta.

Rien n'indiquait la présence de Travis…

Attends une seconde, se dit-elle brutalement, son œil percutant une icône parmi les dizaines d'autres. Un autre logo personnalisé. Une ancre, une couronne… Nom d’un chien… L'emblême de la Royal Navy. Un fichier nommé Skip.

From Skip to El Greco…

Elle cliqua à toute vitesse, presque fébrile. Du traitement de texte. Word 4.

Des notes. Du courrier. Des notes de Travis rédigées en portugais, parfois en anglais.

Des dizaines de lettres.

September 15,1990 From Skip to El Greco.

Je pense que tu devrais considérer les choses selon cet angle. Nous doterons le voilier d'un moteur pour pouvoir pratiquer aisément la navigation fluviale. Je sais que tu as des idées tout à fait performantes à ce sujet.

En attendant, n'oublie pas que rien ne vaut un voilier en haute mer, surtout quand ça s'agite vraiment. Il faut donc simplement concevoir le meilleur voilier possible et le doter de nos systèmes de motorisation.

Suivaient plusieurs ébauches réalisées avec un logiciel «TrucPaint» ou «Machin Draw».

April 9, 1991

Nous devrions repenser ce spi. Je ne pense pas qu'il fasse l'affaire pour les vents que nous aurons à connaître dans l'océan Indien. D'autre part, je te rappelle qu'il faut penser à créer pour de bon la société si nous voulons pouvoir acheter ce foutu terrain. J'ai maintenant besoin de ta moitié de capital au plus vite.

Ah, d'autre part, fais définitivement un trait sur la couleur dorée. En prenant une couleur normale on gagnera du poids, celle-là contient des colorants nettement plus lourds. Je te rappelle également que notre job sera sérieux et nécessitera précision, discrétion et rapidité et que je ne vois pas vraiment la Manta comme un casino de Las Vegas flottant si tu veux vraiment mon avis. Pour terminer j'évoque à ton souvenir le fait que les raies mantas sont noir et blanc, Théo, pas dorées.

Suivait une interminable succession de détails techniques et de schémas exécutés à l'ordinateur.

Sans doute communiquaient-ils par l'intermédiaire de disquettes.

Les premières lettres «informatiques» dataient de 1990. Elles concernaient toutes leur fichu bateau.

Et c'était quoi ce job nécessitant les trois vertus cardinales du parfait espion? Bon sang, l'énigme Travis ne cessait de s'épaissir plutôt que de s'éclairer. Plus elle en apprenait, moins elle en savait. Mais elle essaya de glaner quelques renseignements supplémentaires en parcourant le courrier.

Elle finit par tomber sur un truc intéressant, une lettre en portugais.

6 septembro 1992.

Des détails techniques concernant les matériaux de la mâture et un nouveau nylon japonais. Puis:

Bon. Sinon j'ai l'impression que les choses se compliquent et que je vais devoir «disparaître» plus vite que prévu, si tu vois ce dont je parle. Je vais devoir accélérer le Projet, en ce qui concerne ma partie. Je vais mettre la maison en vente, discrètement. Je compte disparaître des écrans radars à la fin de l'année. Ensuite silence radio jusqu'à ce que je t'appelle. J'espère être assez clair.

Une dernière lettre dans un mois.

Bon sang, Travis avait programmé sa disparition, et il prenait un maximum de précautions. Elle ouvrit la dernière lettre, plus tendue qu'elle ne s'y attendait. Et qu'elle ne l'aurait souhaité.

December 10, 1992.

Bon, dernier message avant le black-out. Tout se passe à peu près comme prévu. J'évacue pendant la nuit du réveillon. Ensuite n'oublie pas. Ne cherche pas à me joindre pour quelque raison que ce soit. Ça durera peut-être plusieurs mois. Continue les finitions. Achève la Manta tranquillement. Rendez-vous, au pire, au printemps.

.Bon sang, réalisait Anita, stupéfaite. Travis s'était-il mis en rapport avec le Grec depuis sa disparition programmée? On était au printemps. Et… ils semblaient tout près d'achever le bateau. Ce qui signifiait… bien sûr, le terrain. Un terrain sur lequel leur société avait certainement implanté un hangar…

Le Grec n'avait pas eu le temps d'achever les finitions, pensa-t-elle.

Et il faudrait retrouver la trace de ce terrain que leur société avait visiblement acheté quelque part…

Elle nota cela dans une case de sa mémoire, Le Grec savait-il où était Travis?

En ce cas, aurait-il fini par lâcher le morceau aux hommes de la cuisine? À livrer des informations permettant de localiser Travis?

Bon dieu, il ne faisait aucun doute que c'était bien pour cela, pour pister l'Anglais, qu'on avait ainsi torturé le Grec à mort.

Peut-être, tout simplement, Travis ne s'était-il pas encore montré et le Grec n'avait-il pu que supplier en vain ses bourreaux qu'ils le croient, qu'il ne savait pas où se planquait Travis… Et les hommes ne l'avaient pas cru.

Oui. C'était ça. Et un type, sans doute le chef de l’expédition, tant la besogne était précautionneuse, était monté fouiller dans les pièces. Avait déniché le bureau. Puis fouillé dans les tiroirs. Bon sang, frémissait-elle, sans doute avait-il allumé l’ordinateur lui aussi. S'étant assis à la même place qu'elle exactement. Peut-être avait-il réussi à pister Travis sur les traces de la raie manta, et avait ouvert tout comme elle les mêmes fichiers, parcouru les mêmes lettres.