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– Vous n’avez donc pas senti, demanda-t-il, les lacunes de mon récit?

– Aucunement.

– C’est que vous n’avez pas su m’écouter. Primo, Louis de Clameran a-t-il, oui ou non, empoisonné son frère?

– Oui, d’après ce que vous avez dit, j’en suis sûr.

– Oh!… vous êtes plus affirmatif, jeune homme, que je n’ose l’être. Votre opinion est la mienne; mais quelle preuve décisive avons-nous? Aucune. J’ai, avec une certaine adresse, j’ose le croire, interrogé le docteur C… Il n’a pas eu l’ombre d’un soupçon. Et le docteur C… n’est pas un médicastre, c’est un savant homme, un praticien, un observateur. Quels poisons produisent les effets décrits? Je n’en connais pas. Et j’ai pourtant étudié bien des poisons, depuis la digitale de La Pommeraye jusqu’à l’aconitine de la Sauvresy.

– Cette mort est arrivée si à propos…

– Qu’on ne peut s’empêcher de croire à un crime? c’est vrai, mais le hasard est parfois un merveilleux complice. Voilà le premier point. Secundo, j’ignore les antécédents de Raoul.

– Est-il donc nécessaire de les connaître?

– Indispensable, mon camarade. Mais nous les connaîtrons avant peu. J’ai expédié à Londres un de mes hommes… pardon, un de mes amis qui est très adroit, monsieur Pâlot, et il m’a écrit qu’il tient la piste. Vrai, je ne serai pas fâché de connaître l’épopée de ce jeune gredin sceptique et sentimental, qui peut-être sans Clameran serait un brave et honnête garçon…

Prosper n’écoutait plus.

L’assurance de M. Verduret lui donnait confiance; déjà, il voyait les vrais coupables sous la main de la justice et il se délectait, par avance, de ce drame de cour d’assises où éclaterait son innocence, et où il serait réhabilité avec éclat, après avoir été bruyamment déshonoré.

Bien plus, il retrouvait Madeleine, car il s’expliquait sa conduite, ses réticences chez la couturière; il comprenait qu’elle n’avait pas un instant cessé de l’aimer.

Ces certitudes de bonheur à venir devaient lui rendre et lui rendaient, en effet, son sang-froid, perdu depuis le moment où, chez son patron, il avait découvert que la caisse venait d’être volée.

Et pour la première fois, il s’étonna de la singularité de sa situation.

Les événements qui déconcertent les prévisions humaines ont ceci de remarquable qu’ils bouleversent les idées et les haussent au niveau des plus étranges situations.

Prosper, qui s’était simplement étonné de la protection de M. Verduret, de l’étendue de ses moyens d’investigation, en vint à se demander quelles raisons secrètes le faisaient agir.

En somme, quels étaient les mobiles du dévouement de cet homme, et quel prix espérait-il de ses services?

Telle fut l’intensité de l’inquiétude du caissier, que brusquement il s’écria:

– Vous n’avez plus le droit, monsieur, de vous cacher de moi! Quand on a rendu à un homme l’honneur et la vie, quand on l’a sauvé, on lui dit qui il doit remercier et bénir.

Arraché brusquement à ses méditations, le gros homme tressaillit.

– Oh!… fit-il en souriant, vous n’êtes pas tiré d’affaire encore, ni marié, n’est-ce pas? ayez donc, pour quelques jours encore, la patience et la foi…

Six heures sonnèrent.

– Bon! s’écria M. Verduret, déjà six heures, et moi qui arrivais avec l’espoir de me donner une nuit pleine. Ce n’est pas le moment de dormir.

Il sortit de la chambre et alla se pencher sur la cage de l’escalier.

– Madame Alexandre! cria-t-il; eh! madame Alexandre!

L’hôtesse du Grand-Archange, la volumineuse épouse de M. Fanferlot, dit l’Écureuil, ne s’était pas couchée. Ce détail frappa Prosper.

Elle apparut humble, souriante, empressée.

– Qu’y a-t-il pour votre service, messieurs? demanda-t-elle.

– Il y a, répondit M. Verduret, qu’il me faut, le plus tôt possible, votre… Joseph Dubois et aussi Palmyre. Faites-les prévenir. Quand ils arriveront on m’éveillera, car je vais me reposer un peu.

Mme Alexandre n’était pas au bas de l’escalier que déjà le gros homme s’était sans façon jeté sur le lit de Prosper.

– Vous permettez, n’est-ce pas? avait-il dit.

Cinq minutes plus tard, il dormait, et Prosper, étendu sur un fauteuil, se demandait, plus intrigué que jamais, quel était ce sauveur.

Il n’était guère que neuf heures lorsqu’un doigt timide frappa trois petits coups à la porte de la chambre.

Si léger qu’eût été le bruit, il suffit pour éveiller M. Verduret, qui sauta à bas du lit en disant:

– Qui est là?

Mais déjà Prosper, qui n’avait pu s’assoupir sur son fauteuil, était allé ouvrir.

Joseph Dubois, le domestique du marquis de Clameran, entra.

L’auxiliaire de M. Verduret était essoufflé comme un homme qui a couru, et ses petits yeux de chat étaient plus mobiles et plus inquiets qu’à l’ordinaire.

– Enfin, je vous revois, patron! s’écria-t-il; enfin, vous allez me conseiller de nouveau. Vous absent, je ne savais plus à quel saint me vouer; j’étais comme un pantin dont le fil est cassé.

– Comment, toi, tu te laisses démonter ainsi!

– Dame! pensez donc, je ne savais où vous prendre. Hier, dans l’après-midi, je vous ai expédié trois dépêches aux adresses que vous m’aviez données, à Lyon, à Beaucaire, à Oloron, et pas de réponse. Je me sentais devenir fou, quand on est venu me chercher de votre part.

– Ça chauffe donc?

– C’est-à-dire que ça brûle, patron, et que la place n’est plus tenable, parole d’honneur!

Tout en parlant, M. Verduret avait réparé l’économie de sa toilette, quelque peu dérangée pendant son sommeil.

Quand il eut achevé, il se jeta dans un fauteuil, pendant que Joseph Dubois restait respectueusement debout, sa casquette à la main, dans l’attitude du soldat qui va au rapport sans armes.

– Explique-toi, mon garçon, commença M. Verduret, et lestement, s’il te plaît; pas de phrases.

– Voilà, bourgeois. Je ne sais pas quelles sont vos intentions, j’ignore vos moyens d’action, mais il faut en finir, frapper votre dernier coup, vite, très vite.

– C’est votre avis, maître Joseph?

– Oui, patron, parce que si vous attendez, si vous hésitez, si vous tergiversez, bonsoir la compagnie, vous ne trouverez plus qu’une cage vide, les oiseaux auront pris leur volée. Vous souriez?… Oui, je sais bien que vous êtes fort, mais ils sont roués, eux aussi.