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Trop inexpérimentée pour pénétrer le plan si audacieux et si simple de Clameran, Madeleine restait interdite; toutes ses prévisions étaient déroutées.

Mme Fauvel, au contraire, accepta cette restitution comme le salut.

– Merci, monsieur, dit-elle en prenant les mains de Clameran; merci, vous êtes bon.

Un rayon de la joie qu’il ressentit éclaira les yeux de Louis. Mais il triomphait trop tôt. Une minute de réflexion avait rendu à Madeleine toute sa défiance. Elle trouvait ce désintéressement trop beau pour un homme qu’elle estimait incapable d’un sentiment généreux et l’idée lui vint qu’il devait cacher un piège.

– Que ferons-nous de cet argent? demanda-t-elle.

– Vous le rendrez à monsieur Fauvel, mademoiselle.

– Nous, monsieur, et comment? Restituer, c’est dénoncer Raoul, c’est-à-dire perdre ma tante. Reprenez votre argent, monsieur.

Clameran était bien trop fin pour insister, il obéit et sembla disposé à se retirer.

– Je comprends votre refus, dit-il; à moi de trouver un moyen. Mais je ne me retirerai pas, mademoiselle, sans vous dire combien votre injustice m’a pénétré de douleur. Peut-être, après la promesse que vous m’avez daigné faire, pouvais-je espérer un autre accueil.

– Je tiendrai ma promesse, monsieur, mais quand vous m’aurez donné des garanties, pas avant.

– Des garanties!… Et lesquelles? De grâce, parlez.

– Qui me dit qu’après mon… mariage, Raoul ne viendra pas de nouveau menacer ma mère? Que sera ma dot pour un homme qui, en quatre mois, a dissipé plus de cent mille francs? Nous faisons un marché, je vous donne ma main en échange de l’honneur et de la vie de ma tante, avant de rien conclure, je dis donc: où sont vos garanties?

– Oh! je vous en donnerai de telles! s’écria Clameran, qu’il vous faudra bien reconnaître ma bonne foi. Hélas! vous doutez de mon dévouement; que faire pour vous le prouver? Faut-il essayer de sauver monsieur Bertomy?

– Merci de votre offre, monsieur, répondit dédaigneusement Madeleine. Si Prosper est coupable, qu’il périsse; s’il est innocent, Dieu le protégera.

Mme Fauvel et sa nièce se levèrent, c’était un congé. Clameran se retira.

– Quel caractère! disait-il, quelle fierté!… Me demander des garanties!… Ah! si je ne l’aimais pas tant! Mais je l’aime, et je veux voir cette orgueilleuse à mes pieds… Elle est si belle!… Ma foi! tant pis pour Raoul!

Clameran n’avait jamais été plus irrité.

L’énergie de Madeleine, que ses calculs ne prévoyaient pas, venait de faire manquer le coup de théâtre sur lequel il avait compté et déconcerté ses savantes prévisions.

Il avait trop d’expérience pour se flatter désormais d’intimider une jeune fille si résolue. Il comprenait que, sans avoir pénétré ses desseins, sans saisir le sens de ses manœuvres, elle était assez sur ses gardes pour n’être ni surprise ni trompée. De plus, il était patent qu’elle allait dominer Mme Fauvel de toute la hauteur de sa fermeté, l’animer de sa hardiesse, lui souffler ses préventions et enfin la préserver de défaillances nouvelles.

Juste au moment où Louis croyait gagner en se jouant, il trouvait un adversaire. C’était une partie à recommencer.

Il était clair que Madeleine était résignée à se dévouer pour sa tante, mais il était certain aussi qu’elle était déterminée à ne se sacrifier qu’à bon escient et non à tout hasard sur la foi de promesses aléatoires.

Or, comment lui donner les garanties qu’elle demandait? Quelles mesures prendre pour mettre ostensiblement et définitivement Mme Fauvel à l’abri des entreprises de Raoul?

Certes, une fois Clameran marié, Raoul devenu riche, Mme Fauvel ne devait plus être inquiétée. Mais comment le prouver, le démontrer à Madeleine?

La connaissance exacte de toutes les circonstances de l’ignoble et criminelle intrigue l’aurait rassurée sur ce point; mais était-il possible de l’initier à tous les détails, avant le mariage surtout? Évidemment non.

Alors, quelles garanties donner?

Longtemps Clameran étudia la question sous toutes ses faces, s’ingéniant, épuisant toutes les forces de son esprit alerte; il ne trouvait rien, pas une transaction possible, pas un expédient.

Mais il n’était pas de ces natures hésitantes qu’un obstacle arrête des semaines entières. Quand il ne pouvait dénouer une situation, il la tranchait.

Raoul le gênait; il se jura que, de façon ou d’autre, il se débarrasserait de ce complice devenu si gênant.

Pourtant, se défaire de Raoul, si défiant, si fin, n’était pas chose aisée. Mais cette considération ne pouvait faire réfléchir Clameran. Il était aiguillonné par une de ces passions que l’âge rend terribles.

Plus il était certain de la haine et du mépris de Madeleine, plus, par une inconcevable et cependant fréquente aberration de l’esprit et des sens, il l’aimait, il la désirait, il la voulait.

Cependant, une lueur de raison éclairant encore son cerveau malade, il décida qu’il ne brusquerait rien. Il sentait qu’avant d’agir il devait attendre l’issue de l’affaire de Prosper.

Puis, il souhaitait revoir Mme Fauvel ou Madeleine, qui, croyait-il, ne pouvaient tarder à lui demander une entrevue.

Sur ce dernier point, il se faisait encore illusion.

Jugeant froidement et sainement les derniers actes des deux complices, Madeleine se dit que, pour le moment, ils n’iraient pas plus loin.

Elle comprenait à cette heure que la résistance n’eût certes pas été plus désastreuse qu’une lâche soumission.

Elle se résolut donc à assumer la pleine et entière responsabilité des événements, assez sûre de sa bravoure pour tenir tête à Raoul aussi bien qu’à Louis de Clameran.

Mme Fauvel résisterait, elle n’en doutait pas, mais elle se proposait d’user, d’abuser à la rigueur de son influence, pour lui imposer, dans son intérêt même, une attitude plus ferme et plus digne.

C’est pourquoi, après la demande de Clameran, les deux femmes, décidées à attendre leurs adversaires, à les voir venir, ne donnèrent plus signe de vie.

Cachant sous une indifférence assez bien jouée le secret de leurs angoisses, elles renoncèrent à aller aux renseignements.

Par M. Fauvel elles apprirent successivement le résultat des interrogatoires de Prosper, ses dénégations obstinées, les charges qui s’élevaient contre lui, les hésitations du juge d’instruction, et enfin sa mise en liberté, faute de preuves suffisantes – ainsi que le spécifiait l’arrêt de non-lieu. Depuis la tentative de restitution de Clameran, Mme Fauvel ne doutait pas de la culpabilité du caissier.