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SCENE III – THESEE

THESEE

Misérable, tu cours à ta perte infaillible.

Neptune, par le fleuve aux Dieux mêmes terrible,

M'a donné sa parole, et va l'exécuter.

Un Dieu vengeur te suit, tu ne peux l'éviter.

Je t'aimais; et je sens que malgré ton offense,

Mes entrailles pour toi se troublent par avance.

Mais à te condamner tu m'as trop engagé.

Jamais père en effet fut-il plus outragé?

Justes Dieux, qui voyez la douleur qui m'accable,

Ai-je pu mettre au jour un enfant si coupable?

SCENE IV – PHEDRE, THESEE

PHEDRE

Seigneur, je viens à vous, pleine d'un juste effroi.

Votre voix redoutable a passé jusqu'à moi.

Je crains qu'un prompt effet n'ai suivi la menace.

S'il en est temps encore, épargnez votre race,

Respectez votre sang, j'ose vous en prier.

Sauvez-moi de l'horreur de l'entendre crier;

Ne me préparez point la douleur éternelle

De l'avoir fait répandre à la main paternelle.

THESEE

Non, Madame, en mon sang ma main n'a point trempé;

Mais l'ingrat toutefois ne m'est point échappé.

Une immortelle main de sa perte est chargée.

Neptune me la doit, et vous serez vengée.

PHEDRE

Neptune vous la doit! Quoi? vos voeux irrités…

THESEE

Quoi! craignez-vous déjà qu'ils ne soient écoutés?

Joignez-vous bien plutôt à mes voeux légitimes.

Dans toute leur noirceur retracez-moi ses crimes;

Echauffez mes transports trop lents, trop retenus.

Tous ses crimes encor ne vous sont pas connus;

Sa fureur contre vous se répand en injures;

Votre bouche, dit-il, est pleine d'impostures;

Il soutient qu'Aricie a son coeur, a sa foi,

Qu'il aime.

PHEDRE

Quoi, Seigneur!

THESEE

Il l'a dit devant moi.

Mais je sais rejeter un frivole artifice.

Espérons de Neptune une prompte justice.

Je vais moi-même encore, au pied de ses autels,

Le presser d'accomplir ses serments immortels.

SCENE V – PHEDRE

PHEDRE

Il sort. Quelle nouvelle a frappé mon oreille?

Quel feu mal étouffé dans mon coeur se réveille?

Quel coup de foudre, ô ciel! et quel funeste avis!

Je volais toute entière au secours de son fils;

Et m'arrachant des bras d'OEnone épouvantée,

Je cédais au remords dont j'étais tourmentée.

Qui sait même où m'allait porter ce repentir?

Peut-être à m'accuser j'aurais pu consentir;

Peut-être, si la voix ne m'eût été coupée,

L'affreuse vérité me serait échappée.

Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi!

Aricie a son coeur! Aricie a sa foi

Ah, dieux! Lorsqu'à mes voeux l'ingrat inexorable

S'armait d'un oeil si fier, d'un front si redoutable,

Je pensais qu'à l'amour son coeur toujours fermé

Fût contre tout mon sexe également armé.

Une autre cependant a fléchi son audace;

Devant ses yeux cruels une autre a trouvé grâce.

Peut-être a-t-il un coeur facile à s'attendrir.

Je suis le seul objet qu'il ne saurait souffrir;

Et je me chargerais du soin de le défendre?

SCENE VI – PHEDRE, OENONE

PHEDRE

Chère OEnone, sais-tu ce que je viens d'apprendre?

OENONE

Non; mais je viens tremblante, à ne vous point mentir.

J'ai pâli du dessein qui vous a fait sortir;

J'ai craint une fureur à vous-même fatale.

PHEDRE

OEnone, qui l'eût cru? j'avais une rivale.

OENONE

Comment?

PHEDRE

Hippolyte aime, et je n'en puis douter.

Ce farouche ennemi qu'on ne pouvait dompter,

Qu'offensait le respect, qu'importunait la plainte,

Ce tigre, que jamais je n'abordai sans crainte,

Soumis, apprivoisé, reconnaît un vainqueur:

Aricie a trouvé le chemin de son coeur.

OENONE

Aricie?

PHEDRE

Ah! douleur non encore éprouvée!

A quel nouveau tourment je me suis réservée!

Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports,

La fureur de mes yeux, l'horreur de mes remords,

Et d'un refus cruel l'insupportable injure

N'était qu'un faible essai du tourment que j'endure.

Ils s'aiment! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux?

Comment se sont-ils vus? Depuis quand? Dans quels lieux?

Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu séduire?

De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m'instruire?

Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher?

Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher?

Hélas! ils se voyaient avec pleine licence.

Le ciel de leurs soupirs approuvait l'innocence;

Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux;

Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.

Et moi, triste rebut de la nature entière,

Je me cachais au jour, je fuyais la lumière.

La mort est le seul Dieu que j'osais implorer.

J'attendais le moment où j'allais expirer;

Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,

Encor dans mon malheur de trop près observée,

Je n'osais dans mes pleurs me noyer à loisir;

Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir,

Et sous un front serein déguisant mes alarmes,

Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.

OENONE

Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours?

Ils ne se verront plus.

PHEDRE

Ils s'aimeront toujours.

Au moment que je parle, ah! mortelle pensée!

Ils bravent la fureur d'une amante insensée.

Malgré ce même exil qui va les écarter,

Ils font mille serments de ne se point quitter.

Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m'outrage,

OEnone. Prends pitié de ma jalouse rage.

Il faut perdre Aricie. Il faut de mon époux

Contre un sang odieux réveiller les courroux.

Qu'il ne se borne pas à des peines légères:

Le crime de la soeur passe celui des frères.

Dans mes jaloux transports je le veux implorer.

Que fais-je? Où ma raison va-t-elle s'égarer?

Moi jalouse! Et Thésée est celui que j'implore!

Mon époux est vivant, et moi je brûle encore!

Pour qui? Quel est le coeur où prétendent mes voeux?

Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux.

Mes crimes désormais ont comblé la mesure.

Je respire à la fois l'inceste et l'imposture.

Mes homicides mains, promptes à me venger,

Dans le sang innocent brûlent de se plonger.

Misérable! et je vis? et je soutiens la vue

De ce sacré Soleil dont je suis descendue?

J'ai pour aïeul le père et le maître des Dieux;

Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux.

Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale.

Mais que dis-je? Mon père y tient l'urne fatale;

Le Sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains: