Изменить стиль страницы

Stimi (si misto il culto è col negletto),

Sol naturali gli ornamenti e i siti.

Di natura arte par, che per diletto

L'imitatrice sua scherzando imiti.

Voilà comme un poète français l'a pensé après lui.

L'artifice n'a point de part

Dans cette admirable structure;

La nature, en formant tous les traits au hasard,

Sait si bien imiter la justesse de l'art

Que l'œil, trompé d'une douce imposture,

Croit que c'est l'art qui suit l'ordre de la nature.

Voilà ce que je pense de l'ouvrage en général; mais je vois bien que ce n'est pas assez pour vous satisfaire, et que vous voulez que je réponde plus précisément aux difficultés que vous me dites que l'on vous a faites. Il me semble que la première est celle-ci: que les Réflexions détruisent toutes les vertus. On peut dire à cela que l'intention de celui qui les a écrites paraît fort éloignée de les vouloir détruire; il prétend seulement faire voir qu'il n'y en a presque point de pures dans le monde, et que dans la plupart de nos actions il y a un mélange d'erreur et de vérité, de perfection et d'imperfection, de vice et de vertu; il regarde le cœur de l'homme corrompu, attaqué de l'orgueil et de l'amour-propre, et environné de mauvais exemples comme le commandant d'une ville assiégée à qui l'argent a manqué: il fait de la monnaie de cuir, et de carton; cette monnaie a la figure de la bonne, on la débite pour le même prix, mais ce n'est que la misère et le besoin qui lui donnent cours parmi les assiégés. De même la plupart des actions des hommes que le monde prend pour des vertus n'en ont bien souvent que l'image et la ressemblance. Elles ne laissent pas néanmoins d'avoir leur mérite et d'être dignes en quelque sorte de notre estime, étant très difficile d'en avoir humainement de meilleures. Mais quand il serait vrai qu'il croirait qu'il n'y en aurait aucune de véritable dans l'homme, en le considérant dans un état purement naturel, il ne serait pas le premier qui aurait eu cette opinion. Si je ne craignais pas de m'ériger trop en docteur, je vous citerais bien des auteurs, et même des Pères de l'Église, et de grands saints, qui ont pensé que l'amour-propre et l'orgueil étaient l'âme des plus belles actions des païens. Je vous ferais voir que quelques-uns d'entre eux n'ont pas même pardonné à la chasteté de Lucrèce, que tout le monde avait crue vertueuse jusqu'à ce qu'ils eussent découvert la fausseté de cette vertu, qui avait produit la liberté de Rome, et qui s'était attiré l'admiration de tant de siècles. Pensez-vous, Monsieur, que Sénèque, qui faisait aller son sage de pair avec les dieux, fût véritablement sage lui-même, et qu'il fût bien persuadé de ce qu'il voulait persuader aux autres? Son orgueil n'a pu l'empêcher de dire quelquefois qu'on n'avait point vu dans le monde d'exemple de l'idée qu'il proposait, qu'il était impossible de trouver une vertu si achevée parmi les hommes, et que le plus parfait d'entre eux était celui qui avait le moins de défauts. Il demeure d'accord que l'on peut reprocher à Socrate d'avoir eu quelques amitiés suspectes; à Platon et Aristote, d'avoir été avares; à Épicure, prodigue et voluptueux; mais il s'écrie en même temps que nous serions trop heureux d'être parvenus à savoir imiter leurs vices. Ce philosophe aurait eu raison d'en dire autant des siens, car on ne serait pas trop malheureux de pouvoir jouir comme il a fait de toute sorte de biens, d'honneurs et de plaisirs, en affectant de les mépriser; de se voir le maître de l'empire, et de l'empereur, et l'amant de l'impératrice en même temps; d'avoir de superbes palais, des jardins délicieux, et de prêcher, aussi à son aise qu'il faisait, la modération, et la pauvreté, au milieu de l'abondance, et des richesses. Pensez-vous, Monsieur, que ce stoïcien qui contrefaisait si bien le maître de ses passions eut d'autres vertus que celle de bien cacher ses vices, et qu'en se faisant couper les veines il ne se repentit pas plus d'une fois d'avoir laissé à son disciple le pouvoir de le faire mourir? Regardez un peu de près ce faux brave: vous verrez qu'en faisant de beaux raisonnements sur l'immortalité de l'âme, il cherche à s'étourdir sur la crainte de la mort; il ramasse toutes ses forces pour faire bonne mine; il se mord la langue de peur de dire que la douleur est un mal; il prétend que la raison peut rendre l'homme impassible, et au lieu d'abaisser son orgueil il le relève au-dessus de la divinité. Il nous aurait bien plus obligés de nous avouer franchement les faiblesses et la corruption du cœur humain, que de prendre tant de peine à nous tromper. L'auteur des Réflexions n'en fait pas de même: il expose au jour toutes les misères de l'homme. Mais c'est de l'homme abandonné à sa conduite qu'il parle, et non pas du chrétien. Il fait voir que, malgré tous les efforts de sa raison, l'orgueil et l'amour-propre ne laissent pas de se cacher dans les replis de son cœur, d'y vivre et d'y conserver assez de forces pour répandre leur venin sans qu'il s'en aperçoive dans la plupart de ses mouvements.

La seconde difficulté que l'on vous a faite, et qui a beaucoup de rapport à la première, est que les Réflexions passent dans le monde pour des subtilités d'un censeur qui prend en mauvaise part les actions les plus indifférentes, plutôt que pour des vérités solides. Vous me dites que quelques-uns de vos amis vont ont assuré de bonne foi qu'ils savaient, par leur propre expérience, que l'on fait quelquefois le bien sans avoir d'autre vue que celle du bien, et souvent même sans en avoir aucune, ni pour le bien, ni pour le mal, mais par une droiture naturelle du cœur, qui le porte sans y penser vers ce qui est bon. Je voudrais qu'il me fût permis de croire ces gens-là sur leur parole, et qu'il fût vrai que la nature humaine n'eût que des mouvements raisonnables, et que toutes nos actions fussent naturellement vertueuses; mais, Monsieur, comment accorderons-nous le témoignage de vos amis avec les sentiments des mêmes Pères de l'Église, qui ont assuré que toutes nos vertus, sans le secours de la foi, n'étaient que des imperfections; que notre volonté était née aveugle; que ses désirs étaient aveugles, sa conduite encore plus aveugle, et qu'il ne fallait pas s'étonner si, parmi tant d'aveuglement, l'homme était dans un égarement continuel? Il en ont parlé encore plus fortement, car ils ont dit qu'en cet état la prudence de l'homme ne pénétrait dans l'avenir et n'ordonnait rien que par rapport à l'orgueil; que sa tempérance ne modérait aucun excès que celui que l'orgueil avait condamné; que sa constance ne se soutenait dans les malheurs qu'autant qu'elle était soutenue par l'orgueil; et enfin que toutes ses vertus, avec cet éclat extérieur de mérite qui les faisait admirer, n'avaient pour but que cette admiration, l'amour d'une vaine gloire, et l'intérêt de l'orgueil. On trouverait un nombre presque infini d'autorités sur cette opinion; mais si je m'engageais à vous les citer régulièrement, j'en aurais un peu plus de peine, et vous n'en auriez pas plus de plaisir. Je pense donc que le meilleur, pour vous et pour moi, sera de vous en faire voir l'abrégé dans six vers d'un excellent poète de notre temps:

Si le jour de la foi n'éclaire la raison,

Notre goût dépravé tourne tout en poison;

Toujours de notre orgueil la subtile imposture

Au bien qu'il semble aimer fait changer de nature;

Et dans le propre amour dont l'homme est revêtu,

Il se rend criminel même par sa vertu.

S'il faut néanmoins demeurer d'accord que vos amis ont le don de cette foi vive qui redresse toutes les mauvaises inclinations de l'amour-propre, si Dieu leur fait des grâces extraordinaires, s'il les sanctifie dès ce monde, je souscris de bon cœur à leur canonisation, et je leur déclare que les Réflexions morales ne les regardent point. Il n'y a pas d'apparence que celui qui les a écrites en veuille à la vertu des saints; il ne s'adresse, comme je vous ai dit, qu'à l'homme corrompu, il soutient qu'il fait presque toujours du mal quand son amour-propre le flatte qu'il fait le bien, et qu'il se trompe souvent lorsqu'il veut juger de lui-même, parce que la nature ne se déclare pas en lui sincèrement des motifs qui le font agir. Dans cet état malheureux où l'orgueil est l'âme de tous ses mouvements, les saints mêmes sont les premiers à lui déclarer la guerre, et le traitent plus mal sans comparaison que ne fait l'auteur des Réflexions. S'il vous prend quelque jour envie de voir les passages que j'ai trouvés dans leurs écrits sur ce sujet, vous serez aussi persuadé que je le suis de cette vérité; mais je vous supplie de vous contenter à présent de ces vers, qui vous expliqueront une partie de ce qu'ils ont pensé: